Le Baptême
Le Baptême Une pièce d’Alfred Savoir et Fernand Nozière Présentation de Michèle Fingher A la redécouverte du théâtre juif Le Baptême Une pièce d’Alfred Savoir et Fernand Nozière A Monsieur Lugné-Poe A la redécouverte du théâtre juif Nous remercions pour leur soutien à la publication de cet ouvrage : La Fondation du Judaïsme Français La Fondation pour la Mémoire de la Shoah Le Fonds Social Juif Unifié Nous remercions pour leurs contributions, remarques et conseils : Yehuda Moraly, Nathalie Serfaty, Isabelle Cohen, Daniel Elalouf, Déborah Elalouf, Gilles Elalouf, Richard Sitbon, Aline Schapira, Colette Goldberg, Edith Sidi, Florence Soulam, Maurice Fingher. © Editions ADCJ – Le Voyage de Betsalel, 2018 ISBN : 978-965-91970-6-4 Auteurs : Alfred Savoir et Fernand Nozière Introduction : Michèle Fingher Tous droits de traduction, reproduction ou représentation intégrale ou partielle réservés pour tous pays. Editions ADCJ, 56 rue Hallé, Paris, 75014, France. contact@adcj.org Alfred Savoir, 1931 Le Baptême Alfred Savoir et Fernand Nozière En 1907, juste après la réhabilitation d’Alfred Dreyfus, deux ans après le vote de la loi instaurant la séparation de l’Eglise et de l’Etat et un an après la suppression de la censure préalable au théâtre, deux auteurs juifs, Alfred Savoir (1883-1934) et Fernand Nozière (1874- 1931), font jouer une pièce où, décidément, personne n’est épargné. Les Juifs sont représentés par les membres d’une riche famille juive qui sont prêts à tout pour se faire accepter par la bonne société et ne trouvent rien de mieux pour cela que de se faire baptiser. Le clergé y est symbolisé par un archevêque fort occupé à assurer son élection à l’Académie et à organiser ses prochaines vacances. Quant à l’aristocratie, c’est dans la pièce un noble ruiné devenu vendeur de voitures et chasseur de dot ! Mais si la pièce se veut légère, elle pose des questions qui nous concernent encore aujourd’hui, celles de l’identité juive dans une société où l’on est facilement tenté par l’assimilation. Le judaïsme est-il une religion ? N’est-il que cela ? Le judaïsme se réduit-il à un ensemble de comportements dictés par une expérience historique commune ? N’est-on juif qu’à travers le regard des autres, des non-Juifs ? Renoncer au judaïsme permet-il de se faire accepter par les non-juifs ? Un Juif ayant accepté le baptême reste-t-il un Juif ? On connaît le mot du général De Gaulle, catholique pratiquant, qui avait dix-sept ans quand fut jouée la pièce. Apprenant qu’un de ses Compagnons s’était converti (par conviction, d’ailleurs), il déclara : « Cela fait un catholique de plus mais cela ne fait pas un Juif de moins ! » La conversion, vue par le Général, ne gommerait donc pas la judéité. On « resterait » juif même après s’être converti. Qu’en était-il il y a un siècle et qu’en est-il aujourd’hui ? Le contexte historique Depuis les années quatre-vingts du 19ème siècle et leurs scandales politico-financiers, après la publication de La France juive de Drumont, les antisémites tenaient le haut du pavé, surtout à droite et chez les catholiques. L’Affaire, qui avait éclaté dans cette ambiance délétère, n’avait fait qu’aggraver les choses et les Juifs, pour la plupart, adoptaient un profil bas, surtout quand ils étaient fortunés. On attaquait les synagogues, certains cafés et restaurants leur interdisaient l’entrée. Des rixes éclataient. La police intervenait, certes, mais il arrivait qu’elle ignore les fauteurs de troubles et conduise au poste les Juifs insultés. Rares étaient les rabbins, nommés et rémunérés par l’Etat (jusqu’à la loi de séparation), qui osaient réagir publiquement. Le Grand Rabbin Zadoc Kahn était l’exception. Lorsqu’Alfred Dreyfus est gracié puis réhabilité, les Juifs français qui, ces dernières années, s’étaient sentis rejetés par la France, reprennent confiance. Délivrés de ce cauchemar, soulagés et reconnaissants, ils ne songent qu’à s’assimiler. Au théâtre, la suppression de la censure préliminaire (1906) donne aux dramaturges juifs l’occasion d’évoquer des thèmes qu’on évitait jusqu’alors. Dans Le Baptême, Savoir et Nozière font rire aux dépens de l’Eglise, de l’aristocratie mais surtout de ces Juifs qui croient pouvoir acheter leur admission dans la bonne société en consentant au baptême. Les auteurs Plus personne ne se souvient aujourd’hui d’Alfred Savoir (né Alfred Poznanski et originaire de Lodz en Pologne), ni de Fernand Nozière (né Fernand Weyl). Ce dernier a pourtant été un auteur extrêmement prolifique. Critique de théâtre, auteur de plusieurs livres, il a, en 1924, sept ans avant sa mort, une cinquantaine de pièces à son actif. Alfred Savoir, quant à lui, est venu étudier le droit en France et signe sa première pièce à vingt-trois ans, Le Troisième couvert, jouée au Théâtre de l’Œuvre. C’est un échec. Sifflets et hurlements interrompent la représentation. La première collaboration théâtrale entre les deux auteurs se fait autour du Baptême où le personnage de monsieur Bloch est interprété par Lugné-Poe. La pièce ne tient que sept représentations suite à l’intervention d’un Juif influent, non pas parce que la pièce était antisémite, mais parce qu’elle pouvait choquer un public non-juif. Cette collaboration se poursuit par une adaptation d’un roman de Tolstoï, La Sonate à Kreutzer, jouée à nouveau par Lugné-Poe. Cette fois, la pièce remporte un grand succès. La pièce S’assimiler – et comment ? – ou ne pas s’assimiler, voilà la question. L’assimilation a toujours été une préoccupation essentielle chez les Juifs de Diaspora. De tous temps, les Juifs ont dû choisir entre rester à l’écart du reste de la population ou bien s’intégrer à la société ambiante en renonçant à leur judéité. L’assimilation est donc, par définition, un abandon volontaire de l’identité juive, de la pratique religieuse, naturellement, mais aussi de tous les comportements considérés comme « juifs » par les antisémites, comme l’âpreté au gain et la volonté féroce de s’élever socialement. Jusqu’au début du 20ème siècle, le marqueur proprement religieux était socialement très significatif : si l’on souhaitait s’assimiler, il fallait commencer par se convertir formellement. En fait, si la conversion était « nécessaire », elle devait être confirmée, sauf exception, par le passage du temps, par le mariage avec des non-juifs, par le changement de nom et par l’adoption d’une profession « non juive ». Le processus devait donc s’étaler sur deux ou trois générations. Dans Le Baptême, les Bloch sont manifestement trop pressés et leur conversion sera globalement un échec. La seule conversion immédiatement reconnue – par les Bloch eux-mêmes, par l’évêque et l’aristocrate, représentant la société dans son ensemble… tout comme par les auteurs eux-mêmes – est celle d’Hélène, la fille de la famille, du fait de son évidente sincérité, même si cette sincérité était absente initialement. Depuis un siècle, la conversion est sans doute bien moins indispensable à qui veut s’assimiler, la société environnante n’attachant guère qu’une importance symbolique à l’appartenance à une église. Le mariage, la rupture sociale accompagnant souvent la mobilité géographique ou professionnelle suffisent en général et sont immédiatement « enregistrés ». Qu’en pensent Savoir et Nozière ? Et d’abord, selon Bloch, qu’est-ce qu’être juif ? Il suffit de l’écouter. A la fin de chaque acte, il se livre en quelques courtes scènes : le ton de la comédie disparaît. Bloch : Hélas ! De père en fils, éternellement nous éprouvons le même malaise. Etre juif, mon enfant, je vois bien maintenant ce que c’est. Lucien : C’est une religion ? Bloch : Non ! Lucien : C’est une race ? Bloch : Non, mon petit Lucien, c’est un malheur, un grand malheur. Pour Bloch, les Juifs sont les victimes « éternelles » des antisémites et des préjugés hostiles : là se trouve la cause du « malheur » des Juifs. Se pourrait-il que les Juifs en soient en partie responsables par leur refus de s’assimiler ? Ou du moins, comment faire pour échapper à la malédiction ? La question n’est pas explicitement posée mais on la lit en filigrane. A l’acte II, quand Bloch annonce à Lucien que toute la famille se convertit, Lucien proteste : Lucien : Est-ce que [le baptême] me redressera le nez ? Et mes jambes qui sont arquées… Et mes oreilles […] Je suis laid… abominablement… si laid que je voudrais me cacher, disparaître […] La laideur des autres, c’est un accident : les passants la déplorent ; la laideur juive, c’est une malédiction, on en rit. Cette soi-disant laideur se retrouve dans le théâtre juif contemporain de la pièce, dans Le Nouveau ghetto (1894) de Herzl, comme dans celle de Bernstein – Israël (1908). Elle reste d’actualité : dans certains de ses sketches, Gad Elmaleh fait rire à ses propres dépens en se comparant au « grand blond » à l’aise dans la piscine ou sur des skis. Les Juifs intériorisent si bien l’antisémitisme qu’ils se voient à travers le regard non des autres en général, mais des antisémites en particulier. C’est ce que Madame Amadeo-Valensi, professeur à l’université Bar-Ilan en Israël, a brillamment souligné : « Les Juifs considèrent comme objective la subjectivité des antisémites ». Cette attitude victimaire doublée de haine de soi débouche sur une « solution » : celle de la conversion, solution qui n’est envisagée par les Bloch que comme un moyen pratique d’échapper à leur condition. Elle ne coûte d’ailleurs pas si cher, à leurs yeux, puisqu’ils resteront juifs en un autre sens. Leur énergie et leur sens des affaires pourront beaucoup plus facilement trouver à s’employer, pensent-ils, puisqu’ils auront fait disparaître l’obstacle qui les empêchait de s’épanouir. Pourquoi ne deviendraient-ils pas les banquiers de l’Eglise ? De même, une fois baptisé, André Bloch, défini jusqu’alors comme un « gringalet », prend la vie à bras le corps. Lui qui haïssait les affaires va entrer dans celles de son père. Celui-ci le serre contre lui et lui dit, dans un élan qu’on retrouve dans l’Israël d’Henry Bernstein, lorsque Gutlieb s’adresse à son antisémite de fils qui ignore tout de son ascendance juive : Bloch : Tu parles de la conquête avec une ardeur, avec un enthousiasme qui sont bien de notre race. Ne t’en défends pas, mon fils (serrant André contre son cœur), tu es juif, tu l’es tout à fait depuis que tu as reçu le baptême. (Le Baptême) Gutlieb : …J’affirme qu’un puissant instinct sémite a fait l’antisémite que voilà ! J’affirme que vous vous êtes jeté dans l’antisémitisme non par haine profonde du Juif, mais bien par une divination juive, par une ambition juive, de la cause éclatante… (Israël) Dans les deux pièces écrites à un an d’intervalle, ces marques de satisfaction à l’égard du judaïsme semblent caricaturales, l’un des personnages venant de se convertir, l’autre ignorant ses origines juives ! Là encore, Bloch et Gutlieb adoptent la même définition de la judéité que les antisémites de leur temps. On sent chez Savoir et Nozière une certaine tendresse amusée pour la naïveté de la famille Bloch : le père, la mère et le fils se croient habiles mais se font évidemment des illusions. L’évêque et de Coissy, le noble, ne cherchent qu’à les exploiter. Les Bloch s’imaginent faire une bonne affaire mais ils ne tromperont personne, on prendra leur argent, ils rendront service et, en prime, on se moquera d’eux. Leur démarche ne peut déboucher à court terme : son absence totale d’authenticité les prive de tout espoir de succès et, finalement, ce n’est que justice. L’un des personnages du Nouveau ghetto de Herzl – le docteur Bichler – fait d’ailleurs exactement le même constat. En revanche, à plus long terme, dans une ou deux générations, l’assimilation a toutes « chances » de fonctionner. Mais alors, les bénéfices escomptés du fait de leurs qualités « juives » ne seront pas au rendez-vous. Les auteurs, en revanche, admirent Hélène pour sa sincérité mais regrettent, me semble-t-il, qu’elle prenne sur elle d’entrer au couvent. La réaction de Bloch et sa résignation désespérée sont également celles des auteurs de la pièce : elle aussi tombe dans le piège que la famille s’est elle-même tendu. Elle est, de plus, l’instrument qui permet à l’évêque de lui soutirer une fortune. En fait, la solution de l’énigme se trouve dans la dernière scène où la grand-mère fait prononcer le Chéma Israël à son petit-fils. C’est elle qui, en tant qu’aïeule, est la dépositaire d’une tradition millénaire. Elle a le dernier mot : c’est une immense erreur que d’essayer de fuir sa judéité ! Tout le reste en dépend et cette judéité repose elle-même sur la fidélité à l’Alliance. Qu’en est-il aujourd’hui ? La conversion, qui semblait ouvrir la porte à l’assimilation au début du 20ème siècle, est-elle encore d’actualité ? Les Bloch, qui avaient réussi dans la banque à une époque où la vieille noblesse catholique donnait le ton, souhaitaient prendre la place à laquelle ils estimaient pouvoir prétendre : ils ont cru qu’il fallait pour cela passer par la case conversion. Ils ont également cru, bien à tort, que cela serait suffisant. Nous l’avons dit, en ce début de 21ème siècle, la conversion formelle n’est plus d’actualité et bien peu nombreux seraient ceux qui voudraient y recourir pour se faire ouvrir des portes. Risquons donc un parallèle : dans les sociétés occidentales que nous connaissons, on trouve de nombreux Juifs dans les médias ou les milieux universitaires. Sous l’influence du milieu où ils évoluent, ils sont souvent politiquement libéraux au sens anglo-saxon, ce qui se traduit par un soutien sans faille à toutes les minorités « opprimées ». Au nom de ce credo, il faut être (de préférence, violemment) antisioniste pour exister socialement dans les cercles progressistes, dans les salles de presse ou sur les campus. La tentation existe donc d’adopter des positions conformistes, de signer des articles et des pétitions, de blogger et de twitter « comme il faut ». Là encore, ceux qui résistent le plus facilement à cette tentation sont ceux qui sont religieusement les plus proches de la Tradition. En se moquant d’une conversion trop rapide et trop évidemment opportuniste, Alfred Savoir et Fernand Nozière soulèvent en fait la question de la naïveté. Monsieur Jourdain dans Le Bourgeois gentilhomme croit que des leçons de danse, de français en feront un gentilhomme tout comme les Bloch croient qu’un peu d’eau bénite va les transformer en catholiques reconnus comme tels. On ne se débarrasse pas si facilement du poids du passé et le regard de la société met longtemps à changer. L’intime conviction autant que la Foi sont les vrais moteurs de l’identité. Personnages Bloch MM. Lugné-Poe André Jehan Adès Monseigneur Lecourtois Henri Beaulieu De Coissy Paul Chevalet Lucien Félix Grouillet Cohen Raymond Aggiotti Renoir Premier invité André Mayral Deuxième invité Lamare Heller Dangré Madame Bloch Mmes Favrel Hélène Premor Mademoiselle Grenier Gasty Lillianne Madame Cohen Copernic L’aïeule Jeanne Guéret Edith Erry Gramer Berthe Hélène Dazy Caricature des personnages dans le journal La Rampe, 1925 (Un petit salon à Paris dans l’hôtel de M. Bloch. Porte au fond donnant sur une galerie. Deux portes à droite et deux portes à gauche. Le portrait équestre de M. Bloch.) Deux invités. Scène 1 Premier invité : Un cigare ? (Il prend sur une table une boîte de cigares qu’il lui tend.) Deuxième invité : On dîne bien ici. Premier invité : Pas mal. Vous y venez souvent ? Deuxième invité : Non ! Et vous ? Premier invité : Quelquefois, aussi peu que possible. Deuxième invité : Je vous comprends. Premier invité : Je n’aime pas les Juifs. Deuxième invité : Moi non plus. Premier invité : Croyez bien que ce n’est pas un préjugé de ma part. Deuxième invité : Evidemment. Premier invité : Il y a de bons Juifs ; mais dans la société israélite, j’éprouve une certaine gêne. Deuxième invité : Un malaise, n’est-ce-pas ? Premier invité : Voilà. Deuxième invité : Je vous comprends. Premier invité : Vous ne fumez pas ? Deuxième invité : Merci. (Il prend un cigare.) Premier invité : Voici du feu. Deuxième invité : Remarquables leurs cigares ! Premier invité : Parbleu ! La vieille madame Bloch – Quel nom ! Deuxième invité : La grand-mère ? Premier invité : Oui, la grand-mère ! Elle les passe en contrebande sous sa jupe. Deuxième invité (déposant son cigare) : Je ne fume plus. Premier invité : Il y a la boîte. Deuxième invité (reprenant son cigare) : Une femme qui possède des millions. Premier invité : C’est son fils qui a de l’argent. Deuxième invité : Dites-moi, cher monsieur, qui est exactement monsieur Bloch ? Premier invité : Notre amphitryon ? Deuxième invité : Vous connaissez l’origine de sa fortune ? Premier invité (évasivement) : Il est intelligent. Deuxième invité : Vous me faites peur. Il n’a jamais eu de démêlés avec la justice, n’est-ce pas ? Premier invité : Il n’y a rien à dire sur ses mœurs. Deuxième invité : Il est vertueux, mais il est honnête ? Premier invité : Il est arrivé à Paris, il y a trente ans, en sabots. Deuxième invité : Comme tout le monde, d’où venait-il ? Premier invité : De Francfort. Deuxième invité : Lui aussi. Il n’avait absolument rien ? Premier invité : Une maladie de foie et des jambes légèrement cagneuses. Deuxième invité : C’est peu. Premier invité : On réussit très bien avec ces avantages. Il a trouvé de l’argent ; il a monté une maison de modes ; ses affaires furent si florissantes qu’il devint négociant en pierres fines, ce qui l’amena à créer une banque… Et voilà ! Deuxième invité : Il est intelligent. Premier invité : Mais oui ! Deuxième invité : Un peu ridicule ? Un peu snob ? Premier invité : Moins que sa femme et ses enfants ! Deuxième invité : Elle publie des livres, madame Bloch ? Premier invité : Comme une duchesse. Elle les signe. Elle tient à recevoir à sa table des gens de lettres. D’ailleurs elle est la cousine de l’Académicien Blumenthal. Deuxième invité : Elle a une influence sur les élections académiques ? Premier invité : Elle laisse croire qu’elle dispose d’une voix ! Deuxième invité : Le fils aîné – ce gringalet – fait de l’escrime et du football. Premier invité : Mais oui. Il a des partenaires très élégants. Deuxième invité : Et la fille – la belle Hélène – du spiritisme. Premier invité : Elle veut aussi avoir de belles relations. L’autre jour elle a eu une longue conversation avec Saint-François-d’Assise. Deuxième invité : Mâtin ! C’est en effet une belle relation. Premier invité : De tout premier ordre. Deuxième invité : Elle connaît des morts chics, mais les vivants qui viennent ici… (Il fait un geste.) Premier invité : Des Juifs ! Deuxième invité : Il y a pourtant quelques chrétiens ! Premier invité : Oui, d’abord un protestant, le pasteur Wurtz. Deuxième invité : Sans dire un mot, par sa seule présence, il offre à tous la bonne parole. Premier invité : Il y a aussi le comte de Coissy. Deuxième invité : Sa famille est de l’Anjou ? Premier invité : Je crois. Deuxième invité : Que vient-il faire ici ? Premier invité : Et nous ? Deuxième invité : Le comte de Coissy ! Grand nom ! Premier invité : Et mauvais renom. Il n’a plus le sou ! Deuxième invité : Merci. Je me tiendrai sur mes gardes. J’ai bien envie de m’en aller. Premier invité : Vous ne voulez pas entendre madame Dujardin ? Deuxième invité : La contralto de l’Opéra qui semble chanter dans un verre de lampe ? – Ah merci ! Premier invité : Nous aurons aussi mademoiselle Grenier de la Comédie-Française. Deuxième invité : La toujours jeune ? Premier invité : Et puis nous aurons l’évêque Lecourtois. Deuxième invité : Vous plaisantez ? Premier invité : Il brigue un fauteuil à l’Académie. Les voix de la droite lui sont acquises ; mais celle de Blumenthal ne lui serait pas inutile. Deuxième invité : Et c’est pour obtenir cette voix qu’il vient chez les Bloch ? Premier invité : Il faut bien faire preuve de libéralisme. Deuxième invité : Un évêque dans cette maison, j’en suis révolté ! Premier invité : Et moi donc ! Deuxième invité : Laissez-moi vous dire que j’ai grand plaisir à causer avec vous. Premier invité : Nous avons en effet les mêmes idées, les mêmes goûts. Deuxième invité : Et nous ne nous connaissons même pas. Il y avait une telle foule à ce dîner. Je n’ai pas eu le plaisir de vous être présenté. Premier invité (sortant sa carte) : Je m’appelle Géo Dreyfus. Deuxième invité (idem) : Et moi Charley Lévy. Premier invité : Charley Lévy ; mais je crois que nous sommes parents. Deuxième invité : Comment ? Premier invité : Par la vieille madame Bloch. Vous êtes son petit cousin par son mari. Deuxième invité : Il est vrai. Premier invité : Et moi je suis le petit cousin par sa sœur. Deuxième invité : Mademoiselle Cohen qui avait épousé Aggiotti de la maison Finkelberg ? Premier invité : Oui. Deuxième invité : Mais je suis allié aux Aggiotti par les Aaron. Premier invité : Alors nous sommes deux fois cousins. Deuxième invité : Mais jamais je vous aurais pris pour un israélite. Premier invité : Vous me flattez. Deuxième invité : Vous n’avez pas le type. Premier invité : Peut-être le front ! Deuxième invité : Vous n’êtes pas à la Bourse ? Premier invité : Si ! Si ! Mais à l’autre Bourse. Deuxième invité : Blé ? Premier invité : Sucre ! Deuxième invité : Alors, Géo, dites-moi ce que vous pensez des derniers cours. Vous croyez à la hausse ? Premier invité : Et bien ! Mon cher Charley… (Ils sortent ensemble.) Scène 2 Heller, Lucien, puis M. et Mme Cohen. Sur les dernières répliques entrent Heller et Lucien. Heller : Eh bien, mon canard, tu ne fumes pas encore ? Lucien : Non, monsieur, mais voici des cigares et des cigarettes. Heller : Merci. (Ils s’assoient au fond.) Cohen (entrant avec Mme Cohen) : On s’en va ? Mme Cohen : Tu es fatigué ? Cohen : Il est dix heures. Mme Cohen : Eh bien ? Cohen : Nous voulions rentrer de bonne heure. Mme Cohen : Tu dors si mal. La nuit dernière, tu n’as pas fermé l’œil. Cohen : Précisément. Mme Cohen : Ah ! Tes intestins ! Cohen : Tu t’amuses ici ? Mme Cohen : Je veux voir l’évêque. Cohen : Tu as à lui parler, Esther ? Mme Cohen : Comme c’est intelligent ! Cohen : Un évêque, tu sais, ce n’est qu’un curé. Mme Cohen : Tu peux rire ; ce n’est pas toi qui amènerais chez nous un prélat. Cohen : Pourquoi faire ? Mme Cohen : C’est flatteur, tu le sais bien. Après- demain, on lira dans les journaux mondains que M. et Mme Bloch ont reçu en leur hôtel des Champs- Elysées l’évêque Lecourtois. Cohen : Vingt-cinq francs la ligne. Mme Cohen : C’est possible. Mais encore faut-il que l’évêque soit venu. Cohen : Il ne viendra peut-être pas. Mme Cohen : Raison de plus pour attendre. Cohen : C’est vrai. Mme Cohen : Ah ! Tu devrais bien savoir comment M. Bloch est entré en relations avec un évêque. Cohen : Comment veux-tu que je fasse ? Mme Cohen : Tu n’as qu’à le flatter… « Quel honneur pour vous et pour les vôtres ! Ce devait être bien difficile ! » Cohen : Et alors ? Mme Cohen : Alors il s’écriera : « Difficile, pas du tout. J’ai fait agir celui-ci et celui-là qui ne peuvent rien me refuser ! » Cohen : Oui ! Oui ! Mme Cohen : Ce ne sera sans doute pas exact. Il ne nous restera plus qu’à démêler la vérité du mensonge. Cohen : Comme c’est simple ! J’y renonce. Mme Cohen : Ah ! Mon pauvre David ! Tu n’as pas d’ambition. Si tu avais eu un peu plus d’énergie et de diplomatie, tout Paris s’écraserait dans nos salons. Cohen : C’est à la femme qu’il appartient de se créer des relations. Vois madame Bloch. Elle invite les gens, elle les attire, elle les racole. Elle a du tact. Elle sait recevoir. Avec notre double nom Cohen- Sulzbacher, ce n’est pas un évêque qui devrait venir chez nous, c’est un archevêque, c’est un cardinal. Mme Cohen : Pourquoi pas le Saint-Père ? Cohen : Pourquoi pas ? Mme Cohen : Tu es fou. Mais sache le bien, madame Bloch n’a rien fait. C’est M. Bloch. Cohen : C’est madame Bloch. Mme Cohen : C’est lui ! Cohen : C’est elle. (Ils s’aperçoivent qu’ils parlent haut.) Chut ! chut !… M. et Mme Cohen sortent. Heller : Canard ? Lucien : Monsieur ? Heller : Qui sont ces agités ? Lucien : C’est M. et Mme Cohen-Sulzbacher. Heller : Ils sont fâchés ? Lucien : Ils sont toujours ainsi. Il y a chez nous beaucoup de gens qui crient. Heller : Canard ? Lucien : Monsieur. Heller : Tu es philosophe ? Lucien : A mes heures. Heller : Il n’est pas l’heure de te coucher ? Lucien : Maman m’a dit d’attendre que l’évêque soit venu. Si par hasard il voulait me bénir ! C’est ridicule ! Heller : Canard, si toi qui es un israélite, tu ne respectes pas un évêque, que respecteras tu ? Lucien : Vous vous moquez de moi ! Heller : Non, mon petit canard. Lucien : Pourquoi m’appelez-vous ainsi ? Heller : C’est un terme d’amitié. Lucien : Pourtant vous me connaissez depuis un mois seulement. Heller : Chez les Schwartz, j’ai trouvé de l’agrément dans ta conversation. Lucien : Pourquoi me parlez-vous toujours ? Etes-vous timide ? Heller : Mais non ! Lucien : Il ne faut pas parler trop longtemps. Heller : Pourquoi ? Lucien : Maman croirait que vous êtes timide et elle ne vous inviterait plus. Heller : Pourquoi m’a-t-elle invité à cette soirée ? Lucien : Elle a lu votre article dans La Revue Ecarlate ; vous êtes sorti de l’Ecole Normale. Heller : Mais il y a bien d’autres israélites qui sont sortis de l’Ecole Normale et qui écrivent dans La Revue Ecarlate. Lucien : Elle les invite tous. Heller : Ils t’amusent. Lucien : J’aime les gens qui travaillent. Heller : Tu dois adorer ton papa. Lucien : Oui. Heller : Tu me présenteras à lui ; quand je suis arrivé, il y avait une foule qui l’entourait, je n’ai pu me glisser jusqu’à lui, ni même l’apercevoir. Lucien : Vous ne le connaissez pas ? Heller : Je ne l’ai jamais vu. (Silence) Lucien : Monsieur ? Heller : Eh bien ? Lucien : Avouez que si vous m’appelez canard, c’est parce que je marche… drôlement. Heller : Non. Lucien : Maman dit que les israélites ont une démarche bizarre. Ainsi moi, je le sais bien, je marche comme un canard. (Il marche.) Papa aussi… Scène 3 Les mêmes, Bloch. A ce moment Bloch s’approche. Il marche effectivement comme un canard. Heller : Monsieur Bloch ? Bloch : Monsieur ? Lucien : Papa ! Bloch : Eh bien ? Lucien : Papa, je te présente mon ami, mon grand ami, M. Charles Heller. Bloch : Vous êtes parent du coulissier ? Heller : C’est mon cousin. Bloch : Excellente maison ! Vous n’en faites pas partie ? Heller : Non, monsieur. Lucien : Oh ! Mais papa ! M. Heller est sorti de l’Ecole Normale. Bloch : Je vous demande pardon, monsieur. Heller : Mais, monsieur, mon père était remisier. Bloch : Ah ! Vous êtes le fils du petit Heller que nous aimions tous à la Bourse. Heller : Tous les soirs en effet, son chapeau était défoncé. Bloch : Nous le taquinions ; mais il recevait des ordres ; c’était un malin. Je l’aimais beaucoup. Il a dû être fier d’avoir un fils intelligent, qui a des diplômes. Heller : Vous êtes trop aimable ; mais vous avez un enfant charmant. Bloch : Vous le trouvez gentil ? Heller : C’est un petit bonhomme remarquable. Bloch (caressant Lucien) : Surtout, il a du cœur, c’est l’essentiel. Lucien : Papa ! Heller : C’est votre préféré ? Bloch : J’aime également tous mes enfants, André, Hélène… Mais celui-ci c’est autre chose. C’est ma joie… Heller : Vraiment ? Bloch : Croyez-vous qu’il ne m’a jamais rien demandé ! Un bon garçon, un brave enfant. Heller : Il vous ressemble. Bloch : Tout le monde le dit. Heller : Je vous vois pour la première fois et j’en suis frappé. Bloch : Vous me voyez pour la première fois ?… Vous ne m’aviez jamais rencontré à l’Opéra, aux répétitions générales, aux courses ? Heller : En sortant de l’Ecole Normale, j’ai professé pendant deux années en province. Je n’ai un poste à Paris que depuis six mois et je sors peu. Bloch : Comment donc m’avez-vous reconnu tout à l’heure ? Heller : Grâce à votre portrait. Bloch : Il est bon, n’est-ce-pas ? Heller : C’est une toile remarquable. Bloch : Le cheval surtout est vivant. Heller : Admirable… Vous aimez les chevaux ? Vous montez souvent ? Lucien : Papa ! Bloch : Jamais cher monsieur. C’est ma femme et mon fils André qui ont désiré ce portrait équestre. Ils trouvaient même que le cheval n’était pas assez fougueux. J’ai cédé parce que ça n’a pas d’importance. Pourvu qu’on me laisse travailler en paix… Heller : Certainement. Bloch : L’hôtel, les réceptions, c’est à eux ; je les leur abandonne. Mais ils n’entrent pas, ils n’en ont guère envie, dans les bureaux de la rue du 4-Septembre. Là, je suis chez moi. Je ne prends conseil de personne. Là, je vis, je m’amuse, je travaille… Aussi que m’importent ces détails mondains ? On veut mon portrait équestre ? Soit ! Mais si on me demande : « Vous montez à cheval, M. Bloch ? » Je réponds carrément : « Non ! » Vous comprenez monsieur Heller ? Heller : Oui ! Oui ! Bloch : D’ailleurs, je ne suis pas aussi franc avec tout le monde. Heller : Je suis flatté ! Bloch : Vous m’êtes très sympathique. Lucien : Ah tant mieux ! (Il fait un pas en arrière et est heurté par André qui s’avance en fumant un cigare.) Scène 4 Les mêmes, André, puis Mme Cohen et Edith. André (toussant) : Tu me fais encore tousser, petit imbécile. Lucien : Je ne l’ai pas fait exprès, André. André : Je l’espère. (Il tousse violemment.) Bloch : On danse à côté ? André : Oui. Les Cohen avec leur fille Edith entrent. Bloch : Vous ne bostonnez pas, monsieur ? Heller : Si, monsieur, ridiculement ! Mme Cohen : M. André valse si bien ! André : Je n’en tire aucune vanité. La danse est un sport inférieur. Bloch : Si tu valses, mon enfant, ne reste pas dans les courants d’air, ne prends pas froid. André : Est-ce que je suis malade ? Bloch : Non. André : Je tousse… C’est la fumée… Voilà tout ! Cohen : Tous les pères tremblent pour la santé de leurs enfants ! André : Quand ils sont chétifs, rien n’est plus naturel. Mais moi, je suis rompu à tous les sports. J’ai une santé à toute épreuve. Tout le monde le sait. Seuls, mes parents ne veulent pas l’admettre. Bloch : Mais si ! André : Savez-vous comment on m’a appelé dans le dernier numéro de la Vie sportive ? Edith : Comment ? André : Une organisation exceptionnelle. Bloch : C’est vrai. Edith : Dans une revue la semaine dernière j’ai vu votre portrait en costume de tennis. Lucien : Il est champion. Heller : Vous êtes champion de tennis ? André : A Asnières. Bloch : Et il conduit merveilleusement. Le cocher me le disait ce matin encore… André : Je crois qu’à l’heure actuelle, je suis le seul israélite capable de mener un mail-coach. Edith : Et comme vous avez été applaudi au Concours Hippique ! Heller : Vous avez obtenu une récompense ? Lucien : Non, monsieur Heller. André : Vous ne vous rappelez pas ce scandale ? Heller : Excusez-moi, j’étais en province. Edith : Le public vous a acclamé. André : Parce qu’il ignorait ma religion… Mais le jury ! Heller : Vous avez été victime, vous aussi, d’une iniquité judiciaire. André : Quelques journaux ont en effet comparé mon cas à… Lucien : Ils exagéraient. André : Peut-être. Quand tu seras plus âgé, mon petit Lucien, tu verras qu’on est toujours prêt à se montrer injuste envers nous. Lucien, Heller, Edith, André sortent. Pendant ce temps les Cohen interrogent M. Bloch. Cohen : Evidemment, recevoir un évêque, c’est un grand honneur et il était difficile de l’obtenir. Bloch : Difficile ! Pas du tout. Mme Bloch : Je te le disais bien, David ! Cohen : Laisse parler M. David. Bloch : Eh bien ! Voici ! Mme Cohen : Ah ! Oui, dites-nous. Cohen : Voyons ! Esther ! Esther ! Mme Bloch est entrée avec M. de Coissy. Scène 5 Les mêmes, Mme Bloch et Coissy. Mme Bloch, à madame Cohen : Hildegarde… Permettez-moi de vous présenter monsieur de Coissy. Madame Hildegarde Cohen-Sulzbacher, son mari. Cohen : Très honoré, monsieur de Coissy. Coissy, très gentil : J’ai connu un M. Cohen. Mme Cohen : Ce n’était pas un de nos parents. Cohen : Nous n’avons pas de parents. Mme Cohen : Nous ne connaissons personne qui porte ce nom. Coissy : Moi, je connais quelques personnes qui s’appellent Cohen. C’est que nous n’avons pas les mêmes relations. Cohen : Mais nous, c’est Cohen-Sulzbacher. Coissy : De la rue du Sentier ? Cohen : Ma maison de commerce est en effet, rue du Sentier. Coissy : Dentelles, n’est-ce pas ? Cohen : Dentelles. Mme Cohen : Mon mari ne s’occupe jamais de sa maison. Elle va toute seule. Il consacre tous ses soins à sa collection de dentelles. Coissy : Il paraît qu’elle est admirable. Mme Cohen : Si vous voulez nous faire le plaisir de la visiter ? Coissy : Avec plaisir, madame. Mme Cohen : Je reçois tous les samedis, rue de la Boétie, 101. Cohen : Je n’ai pas de cartes sur moi. Coissy : Je trouverai votre adresse. Cohen : Dans l’annuaire des téléphones. Mme Cohen : Et dans le Tout-Paris. (De Coissy s’éloigne avec M. Bloch et M. Cohen.) Mme Bloch : C’est incroyable, ma chère amie. Je vous présente monsieur de Coissy et, aussitôt, vous l’invitez à vous rendre visite. Mme Cohen : Pourquoi pas ? Mme Bloch : Vraiment, Hildegarde, permettez-moi de vous le dire, vous manquez un peu de doigté. Mme Cohen : Bah ? Mme Bloch : Vous vous jetez à la tête de M. de Coissy ! Il en était choqué. Mme Cohen : Vraiment ? Mme Bloch : Et puis, quand on est israélite, on ne reçoit pas le samedi. Mme Cohen : M. de Coissy aime les dentelles : c’est un goût aristocratique. Je lui ai simplement proposé de voir notre collection et il a accepté très simplement. Mme Bloch : Mais enfin, vous devez imaginer qu’il ne nous a pas été facile de nous lier avec M. de Coissy ! Nous avons fait des démarches. Mme Cohen : Des sacrifices peut-être. Mme Bloch : Et, sans scrupules, vous profitez de nos efforts : c’est de la concurrence déloyale. Si j’agissais ainsi chez vous, que penseriez-vous de moi ? Mme Cohen : Vous pouvez inviter tous mes amis ; je vous y autorise de grand cœur. Mme Bloch : Vous ne connaissez que des israélites et des allemands. Mme Cohen : Mais ce sont vos coreligionnaires et vos compatriotes. Mme Bloch : Je suis hollandaise. Mme Cohen : Vous êtes née, par hasard, à Amsterdam, parce que vos parents voyageaient beaucoup : mais votre père était de Stuttgart et votre mère de Munich. Mme Bloch : Ma mère était de Varsovie. Mme Cohen : M. Bloch est de Francfort. Mme Bloch : Ce n’est pas vrai ! Mme Cohen : Il était à l’école avec maman. Mme Bloch : Alors, vous savez bien que monsieur Bloch n’est pas de Francfort mais d’un petit village voisin de Francfort. Mme Cohen : C’est vrai, je vous fais mes excuses. Mme Bloch : J’ai été un peu vive, mais je suis faible en ce moment. Mme Cohen : Des ennuis ? Mme Bloch : Non ! Mais j’achève un roman d’amour et je vis avec tous mes personnages. Mme Cohen : Ce doit être fatigant. Mme Bloch : Et cet évêque Lecourtois qui ne vient pas ! Mme Cohen : Il n’est pas tard. Mme Bloch : Dix heures et demie ! Je vous demande pardon : je voudrais dire un mot à M. de Coissy (Il vient d’entrer avec André.) Mme Cohen : Je vous laisse. Mme Bloch : Excusez-moi. Mme Cohen : Oh ! Ne vous excusez pas. Je vais jouer au poker. Mme Bloch : Toujours cette passion. Mme Cohen : Toujours ! (Madame Cohen sort.) Scène 6 Mme Bloch, Coissy, André, puis Bloch. Mme Bloch, à Coissy : Dix heures et demie. Coissy : Dix heures vingt. Mme Bloch : Vous croyez ? Coissy : L’heure de la Bourse. M. Bloch vient de me la donner. Mme Bloch : Vous avez voulu savoir l’heure exacte, vous êtes inquiet. Coissy : Mais non ! Mais non ! André : Il ne viendra pas, votre évêque. Coissy : Patience ! Patience ! Bloch, entrant : Dix heures vingt-trois ! Mme Bloch : Mais non ! Mais non ! Bloch : L’heure de la Bourse. Je crois bien que nous avons eu tort d’annoncer à nos amis la visite de Monseigneur Lecourtois. Coissy : Il était certain que c’était inutile. Mme Bloch : S’il ne venait pas, on rirait de nous. Bloch : S’il vient, nous ne serons pas moins ridicules. Mme Bloch : Mais, Coissy, il vous avait bien promis, n’est-ce pas ? Coissy : Monseigneur désire vous connaître. André : Il tient à la voix de l’oncle Blumenthal. Coissy : Mon cher ami, nous cherchons tous des relations mondaines qui peuvent nous être utiles et agréables. André : Il aura redouté les indiscrétions de la presse. Mme Bloch : Au moment de venir, il aura sans doute été pris de scrupules. André : C’est ce que je voulais dire. Coissy : Mais pourquoi donc, madame ? Mme Bloch : Un évêque chez des Juifs ! Coissy : Bah ! Juif, on l’est aujourd’hui et demain on ne l’est plus. Bloch, inquiet : Que voulez-vous dire ? André : Jacques a raison. Personne ne connaît l’avenir. Bloch : Je ne vous comprends pas. Mme Bloch : L’avenir est impénétrable. André : C’est une vérité qu’on ne peut mettre en doute. Bloch : Evidement, à ce point de vue… Coissy : Toutes les hypothèses sont permises, n’est-ce pas ? Et on peut les envisager de sang-froid. Bloch : Si ce ne sont que des idées générales ! Coissy : Supposons, par exemple, que votre fille ressente une inclinaison, un penchant pour un catholique. Bloch : C’est improbable. Pourquoi souriez-vous ? Coissy : C’est que vous semblez regarder cette possibilité comme un malheur. Ce ne serait pas terrible cependant. Bloch : Mais, monsieur… Coissy : Croyez-vous que votre fille se mésallierait en épousant un chrétien ? Regardez-vous toujours les israélites comme les élus du Seigneur et conservez- vous du mépris pour l’étranger, pour le « goy » ? Bloch : Je ne ressens de mépris pour personne, monsieur. Je pense que ma fille ne serait pas heureuse en entrant dans une famille chrétienne, dans une vieille famille chrétienne. Je sens aussi que je la perdrais. Coissy : Permettez-moi de vous dire, monsieur Bloch, que vous devriez vous élever au-dessus de ce vieux préjugé. Vous vous plaignez souvent d’être isolé, d’être tenu à l’écart et vous vous irritez à la seule pensée d’avoir pour gendre un des nôtres. André : Il faut être logique papa. Mme Bloch : Dix heures et demie ! Coissy : Je vais le chercher. Bloch : Non ! Non ! Je me passerai fort bien de sa visite. Mme Bloch : Tu n’as pas d’ambition. André : Sois tranquille, papa, il ne viendra pas. Coissy : Je saute dans une auto et je l’amène. Bloch : A quoi bon ? (Coissy sort. A madame Bloch) Tu ne rentres pas dans les salons ? Tes invités ? Mme Bloch : Ils causent, ils jouent, et d’ailleurs, Hélène est avec eux. (Monsieur Bloch va pour sortir.) Mme Bloch : Ne t’en vas pas, l’évêque sera ici dans quelques minutes. Bloch : Eh bien ? Mme Bloch : Il convient que tu sois près de moi pour le recevoir. Bloch : Nous serons tous là et grand’mère aussi. Mme Bloch : Elle n’est pas couchée ? Bloch : Non ! Non ! Ma bonne vieille mère ! Elle a gagné dix louis au poker et, en ce moment, elle écoute mademoiselle Dujardin qui chante le grand air de Samson. Mme Bloch : Elle aurait bien dû choisir un autre morceau. André : C’est un manque de tact de nous parler ainsi de nos ancêtres. Bloch : Vous plaisantez, n’est-ce pas ? Mme Bloch : Naturellement. Mais ne penses-tu, mon ami, que ta mère devrait se reposer. Elle n’est plus toute jeune. Bloch : Elle a soixante-douze ans, mais elle est solide, heureusement. André : Ah ! Elle a une belle santé ! Bloch : Ma bonne vieille mère ! Mme Bloch : Ecoute, mon ami, crois-tu qu’il soit possible de présenter ta mère à Monseigneur Lecourtois ? Bloch : Pourquoi pas ? Je ne rougis pas de ma mère. Mme Bloch : Ce n’est pas la question. André : Grand-mère est intelligente et bonne, nous le savons. Mme Bloch : Tout le monde le sait. Mais ne crois-tu pas qu’elle sera mal à l’aise devant un prélat ? Bloch : Elle n’a pas de préjugés. Mme Bloch : Enfin, est-il bien utile que Monseigneur Lecourtois la rencontre ? Bloch : Utile ! Utile ! André : Elle sera certainement choquée en voyant un prêtre chez son fils. Bloch, inquiet : Tu crois ? André : Voyons, papa, c’est certain. Elle imaginera que nous sommes sur le point de nous convertir. Bloch : Ce n’est pas vrai ! Mme Bloch : Il serait bon de lui épargner ces vaines inquiétudes. Bloch : Ah ! Vous croyez tous les deux ?… André : Evidemment ! Bloch : Eh bien ! Il faudrait peut-être lui parler. André : J’y vais. Bloch : Non ! Non ! Je l’appellerai. Elle est là, tout près ; elle s’est placée au dernier rang afin de pouvoir sortir si la musique l’ennuie. Mme Bloch : Il est certain que je ne vois pas très bien ta grand’mère avec Monseigneur Lecourtois. Ah ! Si ma mère vivait ! C’était une femme qui avait de belles manières. Tu te rappelles ? André : Très vaguement. Mme Bloch : Tu étais si jeune quand je l’ai perdue. Scène 7 Mme Bloch, André, M. Bloch, l’aïeule. Bloch, entrant avec la vieille madame Bloch : Tu es bien ? L’aïeule : Très bien, mon enfant, je suis heureuse, si heureuse. Mme Bloch : De quoi donc ? L’aïeule : Mais de tout, de voir que vous vous élevez et que vos enfants grandissent. Te rappelles-tu, Ephraïm, notre pauvre existence à Francfort ?… André : Pourquoi songer à ce passé ? L’aïeule : Mais pour mesurer le progrès qu’a fait mon fils, j’en suis fière. Est-ce assez beau, ces tentures, ces rideaux… André : Voyons, grand’mère. L’aïeule, tâtant les rideaux : Pure soie, mon petit. J’en ai vendu, je sais que c’est beau, on ne fait pas mieux. (Elle tousse.) Mme Bloch : Toujours votre rhume ? L’aïeule : Oh ! Oui, Je tousse ! Ma poitrine est déchirée. Bloch : Tu exagères. L’aïeule : Ah ! Mon enfant, je t’affirme que je suis bien malade. André : La tête ? L’aïeule : Et les reins et les intestins. Tout ! Tout ! C’est à peine si je peux tenir sur mes jambes. Mme Bloch : Si vous étiez bien sage… L’aïeule : Oui ! Oui ! Mme Bloch : Vous iriez faire un bon petit somme. L’aïeule : Me coucher ? Mais, moi aussi, je veux jouir de la vie et prendre ma part des plaisirs, de tous les plaisirs. Rentrer dans ma chambre ? J’attendrai que tous les invités soient partis. André : Tu les as tous vus. L’aïeule : Et l’évêque ? Bloch : Bah ! L’aïeule : Comment peux-tu parler ainsi d’un évêque ? Rappelle-toi de l’évêque de Francfort ! Quel grand et puissant seigneur ! Il me semble que j’entends encore le bruit de son carrosse quand il passait devant nos petites fenêtres. Et aujourd’hui un évêque vient chez toi. Ah ! Quel bonheur ! Ach ! Mein Kind ! Bloch ; Ach ! Meine liebe Mutter ! Scène 8 Les mêmes, Coissy, puis Hélène, Mademoiselle Grenier, Lucien. Coissy, entrant brusquement : Monseigneur me suit ! Il monte l’escalier ! Mme Bloch, allant à la porte : Hélène ! Hélène Hélène, entrant avec mademoiselle Grenier : Qu’y a-t-il, maman ? Mademoiselle Grenier veut bien nous lire quelques vers de madame Desbordes- Valmore. Mme Bloch : Tout à l’heure, mademoiselle, je vous en prie ; Monseigneur Lecourtois arrive. Hélène : Ah ! Melle Grenier : Oh ! Je serai si heureuse de le voir ! C’est un esprit si distingué. André : C’est bien ! C’est bien ! (Il appelle un domestique.) Ne laissez entrer personne dans ce salon. (Le domestique disparaît.) Il ne faut pas que Monseigneur se trouve brusquement dans une foule d’inconnus. L’aïeule : On pourrait peut-être faire venir le pasteur Wurtz : c’est un confrère ? Bloch : Non ! Maman ! C’est un concurrent ! Coissy : C’est bien ! C’est bien ! Mme Bloch, à mademoiselle Grenier : Ne deviez-vous pas, mademoiselle, dire des vers de madame Desbordes-Valmore. Melle Grenier : Si vous le voulez bien, madame, j’attendrai que Monseigneur soit là. Coissy, à Mme Bloch : Monsieur Lecourtois ne dédaigne pas d’assister aux représentations de la Comédie-Française. Il sait toute la distance qu’il y a entre les sociétaires de la Maison et les actrices du Boulevard. André : Et Lucien ? Où est Lucien ? (Il appelle.) Lucien. Lucien, entrant : Me voici ! Me voici ! Scène 9 Les mêmes, Monseigneur Lecourtois. (Monseigneur Lecourtois entre appuyé sur un jeune prêtre.) Coissy : Monseigneur, permettez-moi de vous présenter mes bons amis : Madame Bloch, qui est la mère de M. Bloch, madame Bloch qui est sa femme, mademoiselle Hélène, monsieur André et monsieur Lucien Bloch, ses enfants. Les Bloch : Monseigneur ! Monseigneur : Je marche difficilement. J’ai pris la liberté, madame, d’amener avec moi ce jeune lévite. L’aïeule : Soyez le bienvenu, monsieur Lévy. Monseigneur : Mais, n’est-ce pas mademoiselle Grenier que j’aperçois. Melle Grenier : Je n’espérais pas, Monseigneur, que vous me feriez l’honneur de me reconnaître. Monseigneur : Eh bien ! Etes-vous satisfaite de votre cure ? Melle Grenier : Mais oui, Monseigneur, et je conserve un précieux souvenir des quelques jours passés non loin de votre Grandeur. Coissy : Vous avez rencontré mademoiselle pendant une cure ? Monseigneur : Mais oui ! Hélène : A Lourdes ? Melle Grenier : Non. A Châtel-Guyon. Monseigneur : Et mademoiselle m’a puissamment aidé à organiser une fête de charité ; nous avons collaboré. Melle Grenier : Oh ! Monseigneur ! Monseigneur : Vous avez dit, avec un art merveilleux, des vers de madame Desbordes-Valmore. Melle Grenier : Et quel magnifique discours vous avez prononcé, Monseigneur. Monseigneur : Une simple improvisation ! Melle Grenier : Elle a été reproduite par le Courrier de Riom. J’ai conservé la coupure. Monseigneur : Ce sont des harangues qui ne gagnent pas à être imprimées. Elles ne s’excusent que par l’accent et la conviction. Melle Grenier : Ah ! Monseigneur. Quelle ardeur et quelle articulation ! Monseigneur : Vous me flattez ! C’est vous qui avez une diction admirable, impeccable. La semaine dernière, je vous ai applaudie à la Comédie- Française. Melle Grenier : Dans Le Monde où l’on s’ennuie ? Monseigneur : Non, mademoiselle, je n’entends que les œuvres classiques. Melle Grenier : Pardon, Monseigneur. Monseigneur : On donnait Tartuffe. Vous jouez délicieusement ce joli personnage de Marianne. Melle Grenier : Je suis confuse. Monseigneur : Si, si, délicieusement. Melle Grenier : Je vous demande pardon, Monseigneur. Mais je dois aller dire quelques vers. Monseigneur : Faites, mon enfant, j’irai tout à l’heure vous applaudir. Melle Grenier : Monseigneur ! Bloch : Vous permettez, Monseigneur que j’accompagne mademoiselle Grenier. Monseigneur : Faites, monsieur, je ne veux troubler personne. Bloch : Viens maman, viens Lucien ! Monseigneur : Le charmant enfant ! Je l’ai à peine aperçu. Mais nous nous reverrons ! (Bloch, Mademoiselle Grenier, l’aïeule, Lucien sortent.) Scène 10 Monseigneur, Mme Bloch, Hélène, André et Coissy. Monseigneur : Quelle charmante artiste ! Mme Bloch : Tout à fait charmante. Monseigneur : Vous devez apprécier tout particulièrement son talent, madame, car vous écrivez des vers qu’on goûte. Mme Bloch : Je n’ose croire, Monseigneur, que mes modestes essais vous soient connus. Monseigneur : J’en ai souvent entendu parler et j’ai eu la tentation de les lire ; mais les seuls titres de vos livres effraient un peu l’homme d’église. Mme Bloch : Mon prochain volume vous rassurera, Monseigneur. Mon inspiration devient austère, et, si j’ose dire, presque chrétienne. Monseigneur : Monsieur de Coissy m’a dit en effet, madame, quelles étaient vos sympathies pour notre religion. Je sais que votre fils André a protesté hautement contre la loi de séparation et qu’il a reçu des coups pour la défense des églises. André : J’estime, Monseigneur, que devant une injustice, il ne saurait plus être question de religion. Un honnête homme doit se battre pour le bon droit. Monseigneur : Il me plaît de vous entendre parler ainsi. Enfin, madame, votre fille Hélène est une belle âme, une très belle âme. Hélène : Monseigneur ! Monseigneur : Oh ! Ne protestez pas, mademoiselle. Je connais vos actes de charité, c’est une joie pour moi, pasteur chrétien, de trouver dans une famille… dissidente…. Des élans aussi purs. Mme Bloch : Il se pourrait, Monseigneur, que cette famille ne restât pas dissidente. Monseigneur : Oui ! Oui ! Monsieur de Coissy m’a vaguement parlé de vos projets. Mais, madame, je vous supplie de ne pas vous hâter. Ecoutez la voix qui vous appelle et ne lui obéissez que si vous reconnaissez bien la voix de Dieu. André : Mais… Monseigneur : Croyez-moi, cher monsieur, j’ai l’expérience des conversions. Cet hiver, en Afrique… Hélène : Quoi, Monseigneur, vous avez porté la bonne parole aux peuplades sauvages ? Monseigneur : Non, mademoiselle, c’était au Caire. J’ai eu la chance d’amener à Dieu trois banquiers levantins qui soignaient au soleil leurs rhumatismes, comme je le faisais moi-même. Hélène : Vous n’avez pas eu, Monseigneur, le désir d’aller plus loin ? Monseigneur : Plus loin ? Coissy : Pourquoi ? Hélène : Vous n’avez pas porté la parole évangélique aux tribus barbares. Monseigneur : C’est un apostolat, que ma santé et mon âge ne me permettent plus. André : C’est un sport terriblement dur. Monseigneur : N’est-ce pas, monsieur ? Et pourquoi chercher si loin des infidèles ? Il en est tant que l’on peut convertir à Paris pendant l’hiver et, quand vient l’été à Vichy ou à Dieppe. Mme Bloch : La France d’abord ! Monseigneur : Certainement. Nous devons aimer tous les hommes ; mais, malgré moi, je ressens une plus vive sympathie pour les israélites français que pour les nègres et les chinois. Je crois servir plus efficacement la cause de l’Eglise et de Dieu en baptisant un financier parisien qu’en baptisant un roi anthropophage. André : Vous devez rencontrer de violentes résistances. Monseigneur : Je parviens à les vaincre. Hélène : Nos parents et nos grands-parents sont fermement attachés à la tradition. Monseigneur : On peut les détacher doucement. Coissy : Le plus souvent ils ne tiennent si obstinément à la religion que parce qu’ils redoutent la colère de leur Dieu. Ils pensent qu’ils seraient punis s’ils abandonnaient la foi de leurs ancêtres. André : C’est précisément ce qu’on appelle le sentiment religieux. Monseigneur : Non ! Non ! Monsieur ! Le sentiment religieux, c’est l’appel d’une volonté supérieure qui nous attire vers le ciel, c’est la voix du cœur, c’est la grâce. Hélène : Parlez ! Parlez ! Monseigneur ! Monseigneur : Oh ! Mademoiselle, ce n’est pas ici qu’il convient de vous initier à ces mystères. Ce n’est ni le lieu, ni la saison. Nous sommes à la veille du grand prix. L’agitation de la semaine, les préparatifs pour les villégiatures ne sont pas favorables au recueillement, à la méditation. Hélène : Mais quand cette agitation sera apaisée ? Monseigneur : Nous verrons… Depuis que l’on nous opprime, les miracles se multiplient. Il semble que Dieu veuille encourager ses fidèles serviteurs. En ces derniers temps, bien des âmes égarées nous sont parvenues. Mme Bloch : Si mon mari pouvait vous entendre ! Monseigneur : Il m’entendra. André : N’avez-vous pas dit, Monseigneur, que vous iriez à Dieppe ? Monseigneur : Non ! À Vichy ! Mme Bloch : Nous avons une villa près de Vichy. Nous pourrions y rester pendant un mois. Monseigneur : Je le souhaite. Hélène : Je serais si heureuse, Monseigneur, d’écouter vos conseils et vos leçons. Monseigneur (se lève) : Je suis touché de votre confiance mademoiselle. Mais j’ai promis à mademoiselle Grenier de l’entendre. Mme Bloch (se lève) : Si vous voulez venir, Monseigneur. Monseigneur : N’aurai-je pas le plaisir de rencontrer dans la salle de concert votre cousin Blumenthal ? Mme Bloch : Il n’a pu venir. Il est enrhumé. Jeudi il a eu l’imprudence de revenir de l’Académie, à pied, sous la pluie, sans son cache-nez. Monseigneur : C’est un savant éminent. Son interprétation de la Bible est souvent contraire à l’enseignement de l’Eglise. Mais quelle science et quelle ingéniosité. J’aurais grand plaisir de le connaître. Mme Bloch : Si vous vouliez, Monseigneur, le rencontrer un jour, ici ? Monseigneur : Très volontiers. Je m’acquitterai de la visite d’usage. Mais ce ne sera pas seulement un acte de politesse ; je lui manifesterai ainsi l’admiration qu’il m’inspire, avec certaines réserves que vous comprenez. Mme Bloch : Je lui ferai connaître vos sentiments. Coissy : Vous posez décidément votre candidature à l’Académie. Monseigneur : Oui, mon cher Coissy. Nos amis m’ont affirmé que je le devais. Ils veulent faire sur mon nom une imposante manifestation. Puis-je me dérober à ce devoir sacré ? Mme Bloch : Non. Monseigneur : N’est-ce pas ? Coissy : Vous avez d’ailleurs des titres. Monseigneur : Oui ! Oui ! Précisément, madame, je me suis permis de vous apporter mes œuvres complètes. Mme Bloch : Oh ! Monseigneur, je suis touchée… Monseigneur, lui offrant un petit volume que lui donne le lévite : Les voici. (Il sort avec Madame Bloch, André et le lévite.) Scène 11 Coissy, Hélène. Coissy, à Hélène qui va sortir : Etes-vous si désireuse, mademoiselle, d’entendre les vers de madame Desbordes-Valmore ? Hélène : Mais oui, monsieur, n’aimez-vous pas le talent de mademoiselle Grenier. Coissy : Si ! Si ! Depuis mon enfance… Hélène : Vous venez à peine d’en sortir. Coissy : Seriez-vous méchante ? Hélène : Je m’efforce au contraire d’être bonne. Mais… Coissy : Mais… Hélène : Mais vous me semblez si jeune ! Coissy : Bah ? Hélène : Vous êtes fâché ? Coissy : Je souffre ! Hélène : Non ! Vous boudez ! Coissy : Je vous affirme, mademoiselle… Hélène : Ne protestez pas. Je vous connais bien. Je vous ai longuement observé. Vous ne vous souciez que de vos costumes et de vos jeux. Coissy : Que faudrait-il faire pour vous plaire ? Hélène : Mais vous me plaisez. Coissy : Serait-il vrai, mademoiselle ? Hélène : Vous me plaisez beaucoup. Coissy : S’il en est ainsi, il faut que vous m’écoutiez. Hélène : Très volontiers. Coissy : Puisque j’ai eu le bonheur de retenir votre attention, vous avez dû observer que je n’étais pas demeuré insensible à votre grâce, à votre intelligence. Hélène : Je crois en effet que vous restez près de moi sans ennui. Coissy : Vous pensez bien, mademoiselle, qu’il me serait doux de rester auprès de vous toujours. Hélène : Vous voulez m’épouser ? Coissy : Mais, mon Dieu. Oui… mademoiselle. Hélène : Mais je ne vous aime pas. Coissy : Je m’en doute bien, mademoiselle. Hélène : Alors ! Coissy : Mais vous m’avez dit tout à l’heure que je ne vous déplaisais point. Hélène : C’est la vérité. Coissy : Ne croyez-vous pas qu’une grande sympathie réciproque pourrait suppléer provisoirement… Hélène : Vous me paraissez soudain beaucoup moins jeune. Coissy : Vous ne partagez pas mes sentiments, vous ne m’aimez pas… Mais êtes-vous bien sûre que, si vous me rejetez, vous ferez un mariage d’amour ? Le cas est-il si fréquent autour de nous ? Hélène : Evidemment, non ! Coissy : Et puis vous finirez bien par vous rendre à ma tendresse. Hélène : Vous êtes donc bien sûr que je ne résisterai pas à la vanité de porter votre nom ? Coissy : Mon nom ! J’en suis très fier, certes… Mais vous n’y attachez pas grande importance, je le sais… Cependant j’ai autre chose d’infiniment précieux à vous offrir. Hélène : Vraiment. Coissy : Si vous voulez être mienne, nous nous en irons loin d’ici ; je vous emmènerai (Un temps) en Anjou. Hélène : Savez-vous seulement si je désire quitter mes frères ? Coissy : Pourquoi dissimuler devant moi un fait que j’ai deviné depuis longtemps ? Ici, vous tous ne rêvez que d’une chose… Hélène : Et c’est ? Coissy : De vous séparer du milieu spécial où vous vivez, de rompre le cercle invisible et pourtant réel qui vous enferme. Hélène : Vous me croyez snob, n’est-ce pas ? Coissy : Non, mademoiselle. Mais dans votre milieu d’agitation, de fièvre, personne n’est heureux. Vous moins que les autres ! Et vous vous en rendez compte tous. Hélène : C’est vrai. Coissy : Il est naturel que vous tourniez les yeux pour chercher une issue… C’est pourquoi, moi, en loyal garçon que je suis, vous aimant, je vous dis : suivez- moi ailleurs. Hélène : Je vous remercie de votre franchise, personne ne m’a jamais parlé ainsi… Mais savez- vous qu’il ne serait pas généreux de ma part d’accepter votre proposition. Coissy : Pourquoi donc ? Hélène : Dois-je m’éloigner de mes frères ? Coissy : En restant avec eux, leur serez-vous de quelque secours ? Hélène : Si je vous épouse je devrai abandonner la vieille religion. Coissy : Mais je respecterais une femme qui se convertirait par amour. Hélène : Vous auriez tort. Ce n’est que par conviction qu’il faut embrasser une foi nouvelle. Coissy : Mais tout à l’heure, quand vous parliez à Monseigneur Lecourtois, vous paraissiez déjà animée d’un souffle divin. Hélène : Oui ! Oui ! Parfois, il me semble qu’une voix m’appelle. Coissy : Eh bien ! Hélène : Mais tout à coup cette voix se tait… Je suis calme… Attendez monsieur, attendez. Coissy : Oh ! Mademoiselle, je suis très heureux. Hélène : Je ne vous ai rien promis. Coissy : Je comprends… Je comprends… Hélène : Mais je puis vous affirmer que si jamais votre projet se réalise, c’est une chrétienne, une vraie chrétienne que vous conduirez à l’autel. Coissy : Je l’espère… Vous avez des élans passionnés vers la foi… Moi-même je suis plutôt croyant. Hélène : Est-ce bien vrai ? Coissy : Mais certainement… J’appartiens à une famille où de père en fils on observe les commandements religieux. Hélène : Allez-vous souvent à l’église ? Coissy : Tous les dimanches. Et vous ? Hélène : Quand nous sommes en voyage, le Baedeker à la main. Coissy : Et ici à Paris ? Seriez-vous insensible à la poésie si intense de nos églises ? Hélène : Oh ! Non… Mais quand j’y rentre, j’ai le sentiment d’être une intruse, de toucher à ce qui ne m’appartient pas. Coissy : Mais si je suis à côté de vous, ce sentiment s’évanouira, n’est-ce pas ? Voulez-vous de moi pour guide et aussi pour prier ensemble. Nous irons en Italie. Le commun ne se doute pas des beautés que recèle ce sol béni, retourné par le levier de la foi. Avez-vous séjourné en Toscane ? Hélène : Non… Coissy : J’y connais une pauvre chapelle de village, délabrée et vermoulue. Hélène : Vermoulue ! Coissy : Les touristes ne la connaissent pas car elle se cache au fond d’une vallée dans un pays perdu… A première vue son aspect n’a rien de remarquable, mais ayant franchi le seuil, vous pénétrez dans une crypte moyenâgeuse fort basse et si sombre qu’on n’y voit rien. Hélène : Et on ne connaît pas ça ! Coissy : Et c’est pourtant là que se trouve l’écho le plus merveilleux que j’aie jamais entendu. Pour peu que vous appeliez : « ho » les murs séculaires vous répondent dix fois ou peut-être davantage : « hoho ! hoho ! » N’est-ce pas prodigieux ? Hélène : Oui… Mais n’allons-nous pas rejoindre Monseigneur Lecourtois ? Coissy : J’aurais encore tant de choses à vous dire ! (Lucien entre, pensif.) Scène 12 Les mêmes, Lucien, puis Mme Bloch et André. Hélène : Où est Monseigneur ? Lucien : Monseigneur ? Il est déjà parti. Coissy : Ah ! Lucien : Presque tout le monde est parti. Les salons se sont vidés en un clin d’œil. (Il s’assied à l’écart avec un soupir.) Hélène : Mais qu’as-tu Lucien ? Lucien : Rien. Je suis fatigué… Tout ce bruit…. Cette agitation. Coissy : Souffrez que je prenne congé de vous, il se fait tard. Hélène : Au revoir, ami. Coissy : Au revoir. (Madame Bloch et André entrent.) Mme Bloch, à Coissy : A bientôt j’espère… je vous remercie. André, à Coissy : Demain, au polo. Coissy : C’est entendu. (Il sort.) Scène 13 Mme Bloch, Hélène, Lucien, André. Mme Bloch : Je suis éreintée…. A bout de force. Hélène : Je comprends. Mme Bloch : Si tu les avais vus ! Ils se sont rués tous à la fois sur Monseigneur, pour le saluer, lui serrer la main. André : J’ai eu quelque peine à dégager le vieillard… Hélène : Aussi, quels gens recevons-nous, oh ! Mon Dieu ! Mme Bloch : Ils n’ont aucun usage… André, interrompant : Et ils sont ennuyeux ! Hélène : Et envieux ! Mme Bloch : Et malveillants ! André : A l’heure qu’il est, ils se moquent de nous. Mme Bloch : Encore une soirée de manquée ! André : Tant que nous recevrons des israélites ! Mme Bloch : Allons-nous coucher. André : Ça vaudra mieux. Mme Bloch : Bonsoir Hélène. Hélène : Bonsoir. Bonne nuit. André : Bonsoir. (Hélène sort par la gauche tandis que madame Bloch sort avec André par la droite.) Tant que nous recevrons… Scène 14 M. Bloch entre. Il éteint quelques lampes électriques et aperçoit Lucien qui est assis dans un coin. Bloch : Que fais-tu là ? Lucien : Rien. Bloch : Je croyais que tu étais couché. Lucien : Je n’ai pas sommeil. Bloch : Tu n’as pas pris congé de Monseigneur Lecourtois ? Lucien : Pourquoi faire ? Bloch : Tu t’es bien amusé ? Lucien : Oui. Bloch : Toi qui aimes la musique, tu as dû être heureux d’entendre madame Dujardin. Elle a divinement chanté. Lucien : Elle a chanté un peu faux. Bloch : Vois-tu, mon enfant, tu es trop difficile. Sais-tu bien qu’à ton âge je n’avais entendu que la musique militaire. Quand elle jouait dans le jardin du commandant de la place, je m’arrêtais devant la grille. Je tendais le cou à travers les barreaux. Je ne pensais pas que je serais abonné à l’Opéra de Paris. Ça ne te fait pas rire ? Lucien : Non, papa ! Bloch : Voyons ! Qu’as-tu, mon enfant ? Tu es tout triste. Lucien : Non ! Bloch : Si ! Si ! Lucien : Eh bien ? Bloch : Quoi ? Lucien : Tu ne te moqueras pas de moi ? Bloch : Mais non ! Dis toujours ? Lucien : Je ne suis pas heureux. Bloch : Mais que te manque-t-il ? Moi, à ton âge… Lucien : Tu étais plus heureux que moi, papa. Bloch : Tu crois ? Lucien : Oui, parce que tu étais chez toi. Bloch : Chez moi ? Lucien : Oui, chez toi, à Francfort. Bloch : Toi, tu n’es pas chez toi ? Lucien : Non. Bloch : Mais je me suis fait naturaliser ! Tu es né en France. Lucien : Dès que je suis entré au lycée, on ne m’a pas considéré comme un Français, mais comme un Juif. Bloch : Absurde taquinerie d’enfant ! Tu es français. Tu serviras la France comme plusieurs milliers d’israélites. Tu paieras les impôts, tu obéiras à la loi, tu défendras de ton sang le sol de ce pays qui est ton pays. Lucien : Cependant je ne suis pas semblable à mes compatriotes. Dans la rue on me reconnaît. Hier, un petit pâtissier a ricané en me voyant : « Tête de Juif, tête de Juif ! » Bloch : Alors ? Lucien : Père ! Père ! Pourquoi n’es-tu pas resté à Francfort ? J’y vivrais tranquille parmi les nôtres. Bloch : Tu crois ? Lucien : Ici, je me sens exposé aux insultes et à la haine du passant. Là-bas, je serais respecté, je serais chez moi, chez nous. Bloch : Crois-tu que si j’avais été chez moi à Francfort, je serais venu ici. Mais j’y serais demeuré, petit imbécile. Lucien : Tu n’étais pas chez toi, à Francfort ? Bloch : Mais non ! Naturellement ! Lucien : Alors où serons-nous chez nous ? Bloch : Je ne sais pas. Lucien : Ni ici, ni là-bas, ni ailleurs. Bloch : Tu m’en demandes trop ! Je n’ai pas posé à mon père de telles questions ! Et que répondras-tu à ton fils s’il t’interroge ainsi, quelque jo
Chabbat Vayetse Chalom
Vayetse
Vayetse
Jacob quitte Beer Sheva pour Haran. En chemin, il rêve d’une échelle reliant la terre au ciel, où l’Éternel lui promet la terre. Jacob nomme ce lieu Béthel. Près d’un puits, il rencontre Rachel, fille de Laban. Il travaille sept ans pour épouser Rachel mais épouse Léa. Sept ans plus tard il épouse Rachel. Jacob fait la paix avec Laban et poursuit son voyage.
Toledot
Isaac épouse Rébecca, qui est stérile, mais grâce à la prière d’Isaac, elle devient enceinte de jumeaux. Ésaü, l’aîné, devient chasseur, et Jacob, le cadet, reste sous la tente. Un jour, Ésaü vend son droit d’aînesse à Jacob pour un plat de lentilles. Lors d’une famine, Isaac se rend à Gherar, prospère, et suscite la jalousie. Il conclut finalement un pacte de paix avec Abimélec.
Chabbat Toldot Chalom
Toldot
Haye Sarah
La paracha commence avec la mort de Sarah, femme d’Abraham, à 127 ans. Abraham achète la grotte de Makhpéla à Hébron pour l’y enterrer, créant ainsi son premier terrain en Canaan.
Vieillissant, Abraham cherche une épouse pour Isaac. Il envoie son serviteur Eliezer dans sa famille d’origine pour trouver une femme convenable.
En chemin, Eliezer prie Dieu de l’aider. Près d’un puits, il rencontre Rivka, qui offre de l’eau à lui et ses chameaux. Sa gentillesse confirme qu’elle est la femme idéale pour Isaac.
Rivka accepte de suivre Eliezer en Canaan. Elle rencontre Isaac, ils se plaisent et se marient, apportant bonheur et continuité à la famille d’Abraham.
La paracha se termine par la mort d’Abraham. Isaac et Ismaël l’enterrent aux côtés de Sarah, dans la grotte de Makhpéla.
Chabbat Haye Sarah Chalom
Il leva les yeux et vit trois hommes debout devant lui. Dès qu’il les aperçut, il courut à leur rencontre
‘Haye Sarah
Sarah meurt à 127 ans et est enterrée par Abraham dans la grotte de Makhpéla. Abraham envoie Eliezer chercher une épouse pour Isaac. Rébecca, de la famille de Nahor, accepte et épouse Isaac. Plus tard, Abraham épouse Ketoura et a d’autres enfants, mais lègue tout à Isaac. Abraham meurt à 175 ans et est enterré à Makhpéla. Ismaël, fils d’Abraham, a douze fils et vit 137 ans.
Les mots croisés de Vayera
Les mots croisés de Vayera
Les mots de Vayera
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