Vayechev

Joseph, préféré de Jacob, suscite la jalousie de ses frères, qui le vendent à des marchands. Juda s’éloigne de ses frères. En Égypte, Joseph gagne la confiance de Putiphar mais, accusé à tort, se retrouve en prison, où il interprète les rêves de deux officiers de Pharaon. Ses prédictions se réalisent. L’échanson oublie de parler de lui à Pharaon, comme promis.

Vayishl’ah

Inquiet de rencontrer Ésaü, Jacob divise son camp et prie Dieu. La nuit, il lutte avec un être divin qui le bénit et le nomme Israël. Jacob et Ésaü se réconcilient. Dina est violée par Sichem. Siméon et Lévi vengent leur sœur. A Bethel Dieu promet des nations à Jacob. Rachel meurt en accouchant de Benjamin. Jacob et Ésaü enterrent Isaac à Hébron. Ésaü s’installe à Séir.

Arts du visuel

Le premier tome de la collection Facettes d’art Juif se consacre à l’art visuel. Il présente douze fiches descriptives d’œuvres d’art réalisées en Israël et dans la Diaspora, couvrant une période allant de l’antiquité à nos jours. Ces œuvres reflètent les différentes tendances artistiques traversant les diverses communautés juives au fil du temps. Elles incarnent également l’interprétation du deuxième commandement, qui interdit la création d’idoles ou d’images.

Doura Europos

Doura Europos Construction de la ville de Doura Europos Les Séleucides Les différentes occupations de Doura Europos Campagnes de fouilles à Doura Europos La synagogue de Doura Europos La niche L’art juif après la découverte de Doura Europos Lexique Pour en savoir plus… D O U RA EU R O P Os Les ruines de la ville de Doura Europos se situent sur la rive droite de l’Euphrate, dans la province de Deir ez Zor, à 35 km de la frontière irakienne. L’emplacement est stratégique : il domine d’une quarantaine de mètres la vallée de l’Euphrate. Deux ravins au nord et au sud, ainsi qu’une enceinte à l’ouest, en font un espace protégé. Doura Europos s’étend sur 75 hectares. Différentes populations vont l’habiter pendant 6 siècles. Les fouilles de la ville débutent en 1920. En 1932, on y découvre une synagogue aux murs recouverts de fresques. Le fleuve de l’Euphrate, image Domaine public La ville de Doura existait déjà à l’époque assyrienne sous forme de forteresse. Lorsque Nikatôr, connu sous le nom de Séleucos 1er, conquiert Doura, il lui rajoute le nom Europos qui était le nom de son village natal en Macédoine. C’est ainsi que Doura devient Doura Europos. Nous sommes en 303 AEC. Doura Europos est placée sur la rive droite du fleuve de l’Euphrate qu’elle domine de 40 mètres. Le climat y est aride mais la vallée est une oasis de verdure. La ville a été construite sur le plateau de Shamiyeh au bord de la falaise. L’emplacement est stratégique. Il surplombe la vallée qui a de tous temps été le domaine des nomades et de leurs troupeaux. Elle a également été l’un des passages les plus empruntés pour aller de Syrie en Babylonie. La localisation permettait d’avoir le contrôle militaire de la région mais aussi assurait à la ville une protection naturelle sur trois côtés. Ainsi à l’est la falaise était à pic, et au nord et au sud les ravins courts et abrupts. CO nsTR UCTI O n D E LA VILLE D E D O U RA EU R O P Os Séleucos 1er, général de l’armée d’Alexandre le Grand, veut faire une colonie macédonienne pour contrôler le mouvement de la vallée et des deux capitales de l’empire qu’il vient de construire : Antioche et Séleucie du Tigre. Il fait bâtir un bastion militaire entouré de remparts sur le côté est du plateau qui est le point culminant du site. Au 2e siècle AEC, on y construit une ville selon le principe hippodamien, en îlots rectangulaires identiques de 35 mètres sur 70 mètres. Les rues sont à angles droits. Cette manière de construire est encouragée par Alexandre le Grand et reprise plus tard par les Romains. Le mot hippodamien vient du nom de l’architecte Hippodamos de Milet. Avec lui apparaît le tracé géométrique des villes au 5e siècle AEC. Considéré comme l’un des pères de l’urbanisme, il met au point des plans d’aménagement caractérisés par des rues rectilignes et larges qui se croisent à angle droit. Plan hippodamien de la ville de Doura Europos, image Domaine public Compte tenu de sa forme, ce plan est également appelé en damier. On retrouve la même trame dans les villes d’aujourd’hui. Lors de sa construction, la ville de Doura Europos est organisée autour d’une agora et comprend une allée centrale de 12 mètres de large. Les Grecs construisent la ville en pierre de taille provenant du site. Le seul matériel employé pour l’édification de la muraille destinée à protéger la ville-forteresse de Doura Europos des invasions étrangères est de la pierre équarrie. Construite par des ingénieurs militaires, Doura Europos comprend une muraille qui suit la sinuosité de la falaise. Pour ce faire ils utilisent un tracé en dents de scie. L’enceinte en bordure du fleuve a été emportée par les eaux avec la falaise. L’enceinte sud le long du ravin est bien conservée. C’est à l’époque des Parthes que l’agora de la ville est comblée d’habitations. Les ouvriers se servent de mortier, de briques et de plâtre pour la construction. Lorsqu’ils rebâtissent le tronçon de la muraille occidentale, sur le côté Nord, ils utilisent de la brique. Devant se protéger au plus vite des troupes ennemies, la brique, beaucoup plus rapide dans sa préparation que la pierre taillée, a été la solution. En effet, avec la chaleur, le séchage des briques a permis d’édifier la muraille en un temps record. Tout au long de son histoire la ville de Doura Europos a été : Une ville mixte, où vivaient Grecs, Parthes et Romains, une ville marchande, une garnison militaire. LEs SÉLEUC ID Es Alexandre, par ses conquêtes, réussit à unir l’orient et l’occident. Les lieux conquis deviennent des foyers de culture et de langue grecque. Il rêve d’un état puissant, allant de l’Indus à la mer Égée, au sein duquel vivent des hommes de toutes origines gagnés à la culture grecque. A sa disparition, ses généraux se disputent l’empire, et la Judée devient l’enjeu de conflits entre l’Egypte contrôlée par les Lagides et la Syrie contrôlée par les Séleucides. Séleucos 1er (358 – 281 AEC) fondateur de la dynastie des Séleucides, est né à Europos. Il est satrape de Babylonie de 321 à 305 AEC et entreprend comme Alexandre une campagne jusqu’en Inde. Il érige la ville d’Antioche, qu’il appelle ainsi en l’honneur de son père Antiochus, et en fait sa capitale. Antiochus appartient à la cour d’Alexandre le Grand. Il l’accompagne dans ses campagnes pour conquérir l’Asie. Antioche est le nom donné à 13 souverains Séleucides. Antioche III (242 – 187 AEC) va reprendre, en 198 AEC, la Judée jusque- là sous contrôle de l’empire Lagide d’Egypte. Rome s’inquiète des victoires d’Antioche III et se vexe de ses maladresses politiques. L’historien Flavius Josèphe nous informe que le roi Séleucide protège, par un décret, les Judéens et les sujets juifs. Y est stipulé le caractère sacré de Jérusalem. L’accès au Temple est interdit aux étrangers et aux Juifs non purifiés. De plus, les animaux impurs sont interdits dans la ville. Le décret prend la forme d’une lettre adressée à l’un de ses officiers : Le roi Antiochus à Ptolémée, Salut. Comme les Juifs, dès que nous sommes entrés dans leur territoire, nous ont témoigné leurs bonnes dispositions à notre égard, comme à notre arrivée dans leur ville ils nous ont reçus magnifiquement et sont venus à notre rencontre avec leur sénat, ont abondamment pourvu à la subsistance de nos soldats et de nos éléphants et nous ont aidé à chasser la garnison égyptienne établie dans la citadelle, nous avons jugé bon de reconnaître de notre côté tous ces bons offices, de relever leur ville ruinée par les malheurs qu’entraîne la guerre, et de la repeupler en y faisant rentrer les habitants dispersés. Tout d’abord nous avons décidé, en raison de leur piété, de leur fournir pour leurs sacrifices une contribution de bestiaux propres à être immolés, de vin, d’huile, et d’encens, pour une valeur de vingt mille drachmes, … artabes sacrées de fleur de farine de froment, mesurées suivant la coutume du pays, quatorze cent soixante médimnes de blé, et trois cent soixante-quinze médimnes de sel. Je veux que toutes ces contributions leur soient remises, suivant mes instructions, que l’on achève les travaux du Temple, les portiques, et tout ce qui pourrait avoir besoin d’être réédifié. Les bois seront pris en Judée même ou chez les autres peuples, et au Liban, sans être soumis à aucune taxe ; de même les autres matériaux nécessaires pour enrichir l’ornementation du Temple. Tous ceux qui font partie du peuple juif vivront suivant leurs lois nationales ; leur sénat, les prêtres, les scribes du Temple, les chanteurs sacrés, seront exemptés de la capitation, de l’impôt coronaire et des autres taxes. Et pour que la ville soit plus vite repeuplée, j’accorde à ceux qui l’habitent actuellement et à ceux qui viendront s’y établir jusqu’au mois d’Hyperberotaios une exemption d’impôts pendant trois ans. Nous les exemptons en plus pour l’avenir du tiers des impôts, afin de les indemniser de leurs pertes. Quant à ceux qui ont été enlevés de la ville et réduits en esclavage, nous leur rendons la liberté à eux et à leurs enfants, et nous ordonnons qu’on leur restitue leurs biens. Mais l’attitude vis-à-vis de la communauté juive va changer suivant le rythme incessant des guerres entre les deux dynasties. Comme toute guerre demande des fonds, la Syrie Séleucide a besoin d’argent pour continuer à se battre contre l’Egypte Lagide. Certains états grecs demanderont une alliance avec Rome. En 188 AEC, les Séleucides sont battus par les Romains et sont contraints à verser une indemnité à Rome. Antioche IV (215 – 164 AEC) convoite le trésor du Temple de Jérusalem et viole le décret instauré par Antioche III. Il va procéder à une hellénisation forcée de la Judée. C’est la première fois que les Judéens seront confrontés à l’hellénisme dans leurs propres frontières. Le livre des Maccabées I décrit comment Antioche IV, en 168 AEC, de retour d’Egypte, instaure un décret par lequel les Juifs de Judée : ne peuvent plus pratiquer la circoncision, ne doivent plus respecter le Chabbat et les fêtes, ne doivent plus se réunir pour lire la Torah, ne doivent plus faire de sacrifice, les Juifs doivent se prosterner devant les Temples païens et manger du porc. Il espère ainsi faire en sorte qu’ils abandonnent leur foi et que la culture helléniste soit implantée en Judée. Deux ans plus tard, il pille le Temple de Jérusalem et ravage la ville dont les habitants ont du mal à quitter les coutumes ancestrales. Le livre des Maccabées II nous informe que c’est aux prêtres Jason et Ménélas que revient l’introduction des mœurs grecques en Judée. LEs D IFFÉREnTEs O CCU P A TI O ns D E D O U RA E U ROP O s Située dans une province de l’empire Séleucide, elle est d’abord un bastion militaire. Elle deviendra plus tard une ville construite selon le modèle des cités grecques. Elle restera grecque durant deux siècles. A l’époque grecque, deux Temples sont construit à Doura Europos : l’un dédié à Zeus, l’autre à Artémis. En 113, la ville est conquise par le roi parthe Arsacide Mithridate II le Grand. De 113 à 165, elle est occupée par les Parthes. L’enceinte de la ville est reconstruite, de nouvelles tours s’élèvent. Doura reprend son ancien nom et devient un poste frontière de l’empire Parthe. La ville est prospère. Elle est habitée par des populations d’origines diverses. C’est ainsi qu’aux Grecs d’origine, se mélangent des Latins, des Hébreux, des Syriaques, des Iraniens, des Araméens, des Palmyriens. Doura vit dans la paix et met en place des relations commerciales avec des villes de la vallée de l’Euphrate. A force de s’enrichir, la ville est convoitée par les Romains. Ainsi Trajan conquiert la ville et y fait construire un arc de triomphe pour marquer son entrée dans la ville et commémorer son exploit. Les Parthes ne peuvent se résoudre à l’idée de ne plus posséder Doura Europos et, en 121, le roi Khosro I reprend la ville. Doura Europos redevient parthe mais, en 160, elle est frappée par un tremblement de terre qui la détruit en grande partie, l’affaiblit et ne lui permet pas de se préparer à lutter contre la prochaine invasion. En l’an 164, le Romain Lucius Verus reprend et réoccupe la ville. Les Romains vont se servir de la ville comme base de lancement d’expéditions militaires pour conquérir les territoires de l’est. Ils construisent un Temple dédié à Mithra. En 256, Doura Europos tombe sous l’assaut des Sassanides. Pour se défendre, les Romains renforcent les murs de la ville du côté ouest. Ils remplissent les pièces de sable pour soutenir les murailles. C’est grâce à ce sable entassé que les fresques ont été protégées depuis l’an 257, soit depuis 17 siècles ! En 256, après un long siège, la ville de Doura Europos est conquise par les Sassanides. Châhpuhr I déporte la population. En 360, l’empereur Julien, de passage à Doura, témoigne de l’abandon de la ville. CAm P A gn Es D E FO U ILLEs à D O U RA EU R O P Os Les opérations militaires suivant la première guerre mondiale sont à l’origine de la découverte de la ville de Doura Europos. En effet, le capitaine britannique Murphy fait face à la révolte arabe consécutive à la défaite de la Turquie, en 1918, et se réfugie au milieu de ce que tout le monde pensait être un château arabe. Il demande à ses hommes de creuser des tranchées pour y placer une mitrailleuse. Un pan de sable s’écroule et un soldat tombe dans une pièce aux murs recouverts de fresques. Murphy demande au soldat de lui décrire ce qu’il voit. Le soldat lui répond que les murs sont recouverts de fresques. Prévoyant une découverte archéologique importante, Murphy annonce la découverte à l’état-major. Ce dernier en fait immédiatement part à l’archéologue américain James Henry Breasted (1865- 1935) alors en visite à Bagdad. James Henry Breasted n’a qu’une journée devant lui avant son retour. Il rassemble le plus de détails possibles sur le lieu et sur ce qu’il voit dans la pièce. Nous sommes le 4 mai 1920. En 1922, la nouvelle est annoncée. La première mission française est confiée, en 1923, au Belge Franz Cumont sous l’égide de l’Académie des inscriptions et belles-lettres. Franz Cumont est spécialiste des religions orientales dans l’empire romain. La campagne de 1923 dure du 3 octobre au 7 novembre. Franz Cumont écrit que les fouilles sont exécutées par des légionnaires syriens et qu’il fait lui-même toutes sortes de tâches comme archéologue, épigraphiste, photographe… Chaque campagne de fouilles dure environs 6 mois. Les fouilles de Doura Europos entre les deux guerres se sont déroulées dans un contexte de guérilla difficile. La seconde mission franco-américaine est confiée au russe Michael Rostovzeff. Elle est menée conjointement par l’Académie des inscriptions et belles-lettres et par l’université de Yale. Dans le cadre de cette mission franco-américaine, dix campagnes de fouilles sont menées entre 1928 et 1937. Sur place, travaillent des ouvriers recrutés parmi la population locale qui n’a aucune notion des fouilles archéologiques. Les archéologues ne sont pas tous sur place durant les fouilles. Le matériel retrouvé est envoyé aux chercheurs afin qu’ils les étudient. Découverte de la synagogue de Doura Europos en 1932, image Domaine public En 1934, les fresques de la synagogue de Doura Europos sont enlevées du site pour être déposées au musée de Damas. En 1937, à la fin de la mission, seul un tiers de la superficie de la ville a été dégagé. En 1986, plus de 50 ans après l’abandon des fouilles par l’université de Yale, une troisième mission franco syrienne est dirigée par Pierre Leriche. LA sYnA gO g U E D E D O U RA E U ROP O s Intérieur de la synagogue de Doura Europos Pour les archéologues, la surprise est grande. Jamais jusque-là les murs d’une synagogue recouverts de fresques n’ont été découverts. L’origine de la communauté juive de Doura est peu connue. Elle est sans doute composée de marchands faisant le commerce entre la méditerranée et l’Orient. La ville contrôle les caravanes de marchandises et les convois militaires qui se déplacent de satrapie en satrapie. C’est une ville cosmopolite mais excentrée par rapport aux autres villes comme Palmyre, Alep ou Damas. Les murs de la synagogue sont entièrement recouverts de fresques. Dieu n’est pas représenté. Les sujets des scènes sont tirés de la Bible et du Midrach. Plan de la premiere synagogue La première synagogue, construite dans une maison privée, est de dimension réduite. Elle est orientée d’est en ouest dans le sens de la largeur. Deux portes donnent accès au vestibule situé sur le côté. Un banc en maçonnerie longe les 4 murs comme dans les premières synagogues antiques. Une niche vers laquelle se tourne le fidèle, lors de la prière, est orientée vers Jérusalem. La synagogue de Doura Europos a connu deux stades dans son architecture et sa décoration. La première synagogue est déjà décorée de fresques. C’est ainsi qu’au-dessus de la niche est dessiné un arbre de vie qui atteint le plafond. La synagogue est agrandie 50 ans plus tard, en 245, alors que la ville est sous contrôle romain, sans doute parce que la communauté s’est développée. La salle fait 14 mètres de long sur 7 mètres de large. Elle a 7 mètres de haut, comprend 26 rectangles dans lesquels sont représentés 58 épisodes bibliques et commentaires rabbiniques. Cela nous apprend quels épisodes de la Torah et commentaires sont étudiés à cette période. Plan de la seconde synagogue Le plafond est recouvert de tuiles et parmi les morceaux de tuiles retrouvés certains étaient dessinés. On a découvert des têtes de femmes, des symboles astrologiques, des animaux, des fruits. Une inscription sur une des tuiles a permis de dater la reconstruction du lieu en 244-245 et nous renseigne sur le nom des architectes. Sur le mur ouest où se trouve la niche en direction de Jérusalem, 18 scènes sont dessinées sur 3 niveaux. Sur le premier niveau en partant du haut : La fresque du premier rectangle au sommet du mur est effacée, Salomon et la reine de Saba (seule la partie inférieure du dessin subsiste), Moïse au mont Sinaï, Moïse devant le buisson ardent, Sur le second niveau : Joseph et ses frères, La sortie d’Egypte. Moïse fait jaillir l’eau d’un puits, Le prêtre Aaron, Abraham ou Moïse, La bénédiction de Jacob, Moïse ou Ezra lisant la Torah, Le Temple, L’Arche chez les Philistins et son retour à Jérusalem. Sur le niveau du bas : Elie ressuscite le fils de la veuve, Samuel oint David, Mordekhai sur le cheval blanc du roi, Assuérus et Esther, Moïse sauvé des eaux. Sur le mur sud, 4 scènes dessinées sur 2 niveaux ont résisté au climat aride : La dédicace du Temple, Les prophètes de Baal au mont Carmel, Elie à Sarepta, Elie au mont Carmel. Sur le mur nord, 3 scènes ont résisté en partie sur 3 niveaux : Le songe de Jacob, La bataille de Eben ha-Ezer, La vision de Ye’hezkel. Sur le mur est, 2 fragments de scènes sont parvenus jusqu’à nous : David et Saül, Le festin de Balthasar. Le style général est narratif. Le dessin raconte une histoire. Pour l’historien Ernest Naményi, le problème posé aux artistes de Doura Europos est non pas de représenter Dieu, qui ne peut pas se manifester par des formes, mais de représenter la Volonté Divine révélée. Pour donner l’effet de l’enchaînement de l’action, du mouvement, l’artiste va, dans une même scène, représenter le même personnage dans un mouvement différent. L’action est ainsi saisie dans son déroulement et le spectateur ressent la Volonté Divine. Ernest Naményi nomme ce procédé le principe de la narration continue. L’exécution du dessin a sans doute été faite par un atelier de peinture sous la direction d’un maître et d’apprentis. Il n’y a pas de perspective classique dans le dessin. Les personnages importants sont grands, les personnages mineurs sont de dimensions réduites. Ils sont représentés la plupart du temps frontalement, de manière hiératique et sans expression particulière. Certaines postures de personnages sont identiques comme si le dessin avait été fait à partir d’un même modèle. Les vêtements des personnages importants sont travaillés minutieusement. Un trait noir souligne les contours de chaque personnage. Les animaux, et en particulier le cheval de Mordekhaï, sont très expressifs et dessinés avec un souci de réalisme. Plusieurs styles vestimentaires nous renseignent sur l’aspect cosmopolite des habitants de Doura Europos. Le style grec se reconnaît par : La tunique, le manteau drapé dont un pan est replié sur le bras gauche, la position du contrapposto (attitude corporelle où une des deux jambes porte le poids du corps, l’autre étant légèrement pliée). Le style romain se reconnaît par : Le port de la toge. Le style perse se reconnaît par : L’habit porté par Ye’hezkel, un caftan serré à la ceinture, des pantalons et parfois des capes et des coiffes. Le style sémite ancien se retrouve avec la rosette qui revient dans le décor comme un leitmotiv et les arbres stylisés. Les fonds à couleur unique et la présentation de chaque scène dans un cadre défini relèvent d’une influence romaine byzantine. LA n I C HE Niche de la synagogue de Doura Europos Les détails et la scène, dans le haut de la niche, nous informent sur les symboles utilisés pour se rappeler Erets Israël en terre d’accueil. Elle nous apprend également comment à cette époque les Juifs lisaient la Torah déjà enroulée sur deux axes. Au-dessus de la niche, est représenté le Temple évoqué par l’arche sainte dans laquelle sont déposés les rouleaux de la Torah. Au-dessus de la niche sont représentés des motifs symboliques : le Temple, le Loulav, la Ménorah, l’Etrog, Une scène figurative représentant le Sacrifice d’Isaac est peinte dans la partie droite du fronton de la niche. A l’époque du Talmud et de la Michna, il n’y avait pas encore dans la synagogue d’endroit fixe pour poser le Sefer Torah. Celui-ci était mis dans une arche portative près de la salle de prière. C’est dans les communautés de Diaspora que va naître l’idée d’un endroit fixe pour déposer le Sefer Torah dans la synagogue. Au 4e siècle, en Erets Israël, l’arche portative disparaît pour être remplacée par une niche construite. Le Temple est dessiné juste au-dessus de l’arc. Il apparaît comme sur les pièces de Bar Kokhba appelées tétra drachmes. 4 colonnes portent une architrave et encadrent l’arche dont les portes sont fermées. Au-dessus de l’arche, une conque. A gauche du Temple, la Ménorah faite de branches, de boutons, de calices est fidèle à sa description. Elle tient sur 3 pieds. Près du pied de la Ménorah, l’étrog et le loulav, symboles de la fête de Souccot. A droite du Temple, le sacrifice d’Isaac. Les diverses composantes de l’histoire sont présentes. Chaque motif ou sujet se rapporte au Mont Moriah. C’est sur le Mont Moriah qu’Abraham amène son fils pour le sacrifier ; c’est le Mont Moriah que David élit comme lieu pour construire le Temple ; c’est sur le mont Moriah que l’arche est amenée ; c’est au mont Moriah que se déroulent les fêtes de pèlerinage, dont Souccot. L ‘ AR T jU IF APRès LA D ÉCO UVER TE D E D O U RA E U ROP O s Les fresques de la synagogue de Doura nous donnent le premier exemple d’iconographie juive. Jusque-là les historiens d’art du début du 20e siècle méconnaissent le sujet et sont persuadés : que l’art juif n’existe pas, qu’il apparaît au 13e siècle en Rhénanie et en Espagne au moment où le métier de l’enluminure se laïcise, que les Juifs s’inspirent de l’art local des terres d’accueil pour créer un art, qu’ils ne possèdent pas de registre iconographique, qu’ils s’inspirent de l’art figuratif chrétien et l’adaptent à leur histoire. La découverte archéologique de la synagogue de Doura Europos ébranle les idées reçues. Certains historiens étaient persuadés, par manque de preuves, que les Juifs ne possédaient pas d’expression visuelle. A la lueur de la découverte, il semblerait que le judaïsme ait précédé le christianisme dans le développement d’un art figuratif. La qualité du dessin et le choix iconographique portent à croire que les fresques de Doura Europos n’étaient pas uniques. Les artistes avaient un programme iconographique bien établi. D’autres synagogues aujourd’hui disparues ou bien pas encore retrouvées ont dû avoir des décors semblables. LExI q U E AEC : abréviation de avant l’ère commune. Agora : place publique. Alexandre le Grand : (356-323 AEC) Alexandre III, dit Alexandre le Grand, est roi de Macédoine. Grand conquérant de l’Antiquité, son règne dure 11 ans. Antioche III : (242 AEC – 187 AEC) souverain de la dynastie séleucide. Antioche IV : (215 AEC-164 AEC) fils d’Antioche III, pour helléniser la Judée, il installe Jason comme grand prêtre. Puis il décide une hellénisation totale de la Judée en effaçant toute trace de judaïsme. Araméen : population semi- nomade établie dans la Syrie actuelle. Arsacide : dynastie des Parthes, qui a émergé en Asie centrale au milieu du 3e siècle AEC et qui a pris le nom de son souverain, le roi Arsace. Artémis : dans la mythologie grecque, elle est la divinité de la chasse. Bar Kokhba: Simon bar Kokhba mène la révolte contre les Romains. Châhpuhr I : (241-272) roi sassanide, il règne sur l’Arménie et la Mésopotamie. Diaspora : dispersion du peuple juif à travers le monde. Erets Israël : terre, pays ou Etat d’Israël. Etrog : cédrat. Ancêtre du citron, utilisé pendant la fête de Souccot. Hippodamien : plan de ville dans lequel les rues sont rectilignes et se croisent à angle droit. Hippodamos de Milet : (498 AEC – 408 AEC) architecte originaire de Milet, il a aussi été météorologue. Il est considéré comme celui qui a révolutionné l’urbanisme grec. Judée : région située entre la mer Morte et la Méditerranée. Julien : (331-363) Flavius Claudius Julianus, empereur romain, a régné 2 ans. Il admire le peuple Juif et veut reconstruire le Temple de Salomon. Lexique 23 Khosro I : (501-579) roi de l’empire sassanide de l’an 531 à 579. Lagides : dynastie hellénistique, située en Egypte, de 323 AEC à 30 AEC. Elle descend du général Ptolémée fils de Lagos. Loulav : branche de palmier. Lucius Verus : (130-169) coempereur avec Marc Aurèle à la mort d’Antonin le Pieux. Macédoine : petit état qui apparaît au 7e siècle AEC. Il contrôle la majeure partie des Balkans. Ménorah : nom du candélabre à sept branches dont le prototype est confectionné pour le Tabernacle du désert. Mer Egée : mer située entre l’Europe et la Grèce à l’ouest, et l’Asie et la Turquie à l’est. Michna : du verbe lechanen : répéter, qui signifie au sens propre apprendre par cœur une tradition orale. Elle désigne l’ensemble des traditions religieuses developpées jusqu’en l’an 200. Midrach : commentaire rabbinique de la Bible qui revêt différents genres littéraires comme un récit, une parabole ou une légende. Mithra : divinité indo iranienne. Mithridate II : (124 AEC – 90 AEC) roi des Parthes, il rétablit le pouvoir parthe en Mésopotamie. Mont Moriah : mont où a eu lieu le sacrifice d’Isaac et sur lequel ont été construits le Premier et Second Temple. Nikatôr : le vainqueur. Agé de 24 ans, Séleucos Nikatôr Ier est nommé lieutenant d’Alexandre le Grand. Palmyrien : habitant de Palmyre. Parthe : peuple semi-nomade d’origine iranienne. Pierre équarrie : pierre taillée à angles droits qui permet un appareillage régulier. Sacrifice d’Isaac : Abraham est mis à l’épreuve. Dieu lui demande de sacrifier son fils. Au moment propice, un ange arrête son geste et le sacrifice n’a pas lieu. Sassanide : dynastie iranienne qui a régné de 226 à 651 sur un vaste empire, du Khurasan à la Mésopotamie. Satrape : responsable d’une satrapie ou d’une région. Sefer Torah : copie manuscrite de la Torah sous forme d’un rouleau. Séleucos Ier : Général d’Alexandre le Grand, il est roi de Syrie et fonde la dynastie des Séleucides. Séleucides : dynastie hellénistique fondée par Séleucos qui régna de 312 à 64 AEC. Souccot : fête qui rappelle les 40 ans d’errance dans le désert avant le retour en Erets Israël. Syriaque : peuple antique du Proche et du Moyen-Orient. Talmud : ensemble de commentaires et de discussions rabbiniques. Temple : allusion au Temple de Jérusalem construit par le roi Salomon sur le Mont Moriah à Jérusalem, il est détruit par Nabuchodonosor II en 586 AEC. Il est reconstruit par les Juifs qui reviennent de captivité de Babylonie en 538 AEC. Le roi Hérode le remanie et l’agrandit en l’an 19 AEC. Titus le détruit en l’an 70. Torah : enseignement. Regroupe les cinq livres : la Genèse, l’Exode, le Lévitique, les Nombres et le Deutéronome. Trajan : (53-117) empereur romain. Sous son règne a lieu la révolte de Bar Kokhba contre l’empire romain. Zeus : roi des dieux dans la mythologie grecque. Pour en savoir plus 25 PO U R En s A V O IR PLUs… -Mireille Hadas-Lebel La révolte des Maccabées Illustoria, 2012 -Ernest Naményi L’Esprit de l’art Juif Les Editions de Minuit, 1957 -Pierre Prigent L’image dans le Judaïsme Labor et Fides, 1991 -Gabrielle Sed-Rajna L’art Juif Arts et Métiers Graphiques, 1975 -Mathilde Couronné (2013). «Fouilles archéologiques anciennes et problèmes de datation : le cas de Doura-Europos ». Annales de Janua, n°1 -CUMONT FR., « Fouilles de Doura-Europos » (1922-1923), Paris, 1926 -Mathilde Gelin La Terre au secours de la pierre. Délais d’un chantier de construction Hellénistique en briques crues à Doura Europos sur l’Euphrate, CNRS, UMR 7041, Archéologie et sciences de l’Antiquité, Nanterre. PH O TO g RAPHIEs – P. 4 : Le fleuve de l’Euphrate par Marsyas ; Domaine public ; https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Doura_Europos_Euphrates.jpg – P. 5 : Plan hippodamien de la ville de Doura Europos par Marsyas ; Domaine public ; https://commons.wikimedia. org/w/index.php?title=Special:Search&limit=500&offset=0&ns0=1&ns6=1& ns12=1&ns14 =1&ns100=1&ns106=1&search=Dura-Europos&advancedSearch- current={}#/media/File:Dura_Europos_synagogue_ location.png – P. 11 : Découverte de la synagogue de doura Europos en 1932 ; Domaine public ; Maurice Le Palud – L’Illustration, 29 July 1933 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/4/45/Illustration_29071933_457.jpg – P. 12 : Intérieur de la synagogue de Doura Europos photographie Gabrielle Sed-Rajna. – P. 17 : Niche de la synagogue de Doura Europos photographie Gabrielle Sed-Rajna. Graphisme : David Soulam Publié par les Editions ADCJ Association pour la Diffusion de la Culture Juive (Association loi 1901) 56 rue Hallé, Paris 75014, France www.levoyagedebetsalel.org Courriel : contact@adcj.org Jan vier 2015 mise à jour Août 2021 © Florence Soulam Les ruines de la ville de Doura Europos se situent sur la rive droite de l’Euphrate, dans la province de Deir ez Zor, à 35 km de la frontière irakienne. L’emplacement est stratégique : il domine d’une quarantaine de mètres la vallée de l’Euphrate. Deux ravins au nord et au sud, ainsi qu’une enceinte à l’ouest, en font un espace protégé. Doura Europos s’étend sur 75 hectares. Différentes populations vont l’habiter pendant 6 siècles. Les fouilles de la ville débutent en 1920. En 1932, on y découvre une synagogue aux murs recouverts de fresques.

De ‘Hanoukka à Pourim

L’Art en fête de ‘Hanoukka à Pourim Ecrit par Michèle Fingher et Florence Soulam Illustré par Tamar Hochstadter Le temps est passé si vite depuis les fêtes de Tichri ! Les pages du calendrier annoncent déjà ‘Hanoukka, puis viendra un autre nouvel an, celui des arbres, Tou bi-Chevat, et au galop Pourim. Tourne les pages du temps et admire les exploits des Maccabées et de Judith. N’oublie pas de planter un arbre à Tou bi-Chevat et regarde comment les artistes ont dépeint Mordekhaï sur le cheval du roi. Pour te donner une idée de la façon dont on fêtait et fêtons encore ‘Hanoukka, Tou bi-Chevat et Pourim, Betsalel, Oholiab et Abigaël se sont rendus dans des communautés du monde entier. Pour toi, ils sont partis à la recherche de ‘Hanoukkiot conservées dans des musées. Ils ont visionné des films anciens, assisté à la première de pièces de théâtre, et bien entendu ont écouté la Méguila, déguisés en fleur ou en girafe ! Ne perds pas un instant et rejoins-les ! Ils t’ont préparé un merveilleux Voyage… de Betsalel. Nous remercions pour leur soutien à la publication de cet ouvrage : Ezra Venture La Fondation du Judaïsme Français La Fondation Sitcowsky – sous l’égide de la FJF L’Institut Alain de Rothschild * Nous exprimons notre reconnaissance à la famille Gross, au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme et au Musée de Tel-Aviv, qui nous ont autorisés à utiliser les photographies de leurs fonds. * Nous remercions pour leur contribution, remarques et conseils, Shalom Tsabar, Yehouda Moraly, Elisheva Revel, Laurence Sigal, Déborah Elalouf, Gilles Elalouf, Laurent Edel, Nathalie Serfaty, Nelly Hansson, Isabelle Cohen, Jean-Jacques Wahl, Chantal Mettoudi, Richard Sitbon, Corinne Kalifa, Edith Sidi, Amandine Saffar, Joyce Krief. * © Editions ADCJ – Le Voyage de Betsalel, 2012 et 2013 ISBN : 978-965-91970-0-2 Auteures : Michèle Fingher et Florence Soulam Illustration : Tamar Hochstadter Tous droits de traduction, reproduction ou représentation intégrale ou partielle sont réservés pour tous les pays. Editions ADCJ, rue Hallé 56, Paris 75014, France. contact@adcj.org www.adcj.org L’Art en fête de ‘Hanoukka à Pourim Ecrit par Michèle Fingher et Florence Soulam Illustré par Tamar Hochstadter Sommaire L’Art en fête 6 De ‘Hanoukka à Pourim 7 ‘Hanoukka 10 Mattathias 12 Juda et Judith 14 La Ménorah à travers les âges 16 ‘Hanoukkiot en terre glaise et en pierre 18 ‘Hanoukkiot en bois et en métal 20 ‘Hanoukkiot en argent 22 De la ‘Hanoukkia à la Ménorah 23 ‘Hanoukka en famille ! 24 Sevivon Sov Sov Sov ! 26 Judith au théâtre 28 Abraham Goldfaden 30 Tou bi-Chevat 34 Des arbres en bronze 35 Plantons un arbre pour Tou bi-Chevat 36 Pourim 40 La reine Esther 42 L’histoire d’Esther à Doura Europos 44 La Méguilat Esther 46 Une Méguila enluminée 48 Un décor gravé 50 Moché Pescarol : un scribe enlumineur 52 La pendaison des fils d’Aman 54 La fille d’Aman 56 Affiches de Pourim 58 Michloa’h Manot 60 Des crécelles 62 Une soirée de Pourim à Tel-Aviv 64 Adloyada à Tel-Aviv 66 Quiz 68 Réponses 72 Dico 76 Crédits photographiques 83 L’Art en fête L’Art en fête comprend quatre livres. Le premier livre présente les cinq fêtes du mois de Tichri : Roch ha-Chana, le Nouvel An, Kippour, le jour du Grand Pardon, Souccot, la fête des Cabanes, Hochana Rabba, le 7e jour de Souccot, Sim’hat Torah, la fête de la Torah. Le second livre évoque les fêtes de ‘Hanoukka, Tou bi-Chevat et Pourim : ‘Hanoukka, le 25 Kislev, fête la résistance spirituelle du judaïsme, Tou bi-Chevat, le 15 Chevat, est évoqué dans la Michna comme le nouvel an des arbres, Pourim, le 14 et 15 Adar, rappelle comment les Juifs du royaume d’Assuérus ont échappé à un massacre. Le troisième livre regroupe les six fêtes du printemps et de l’été : Pessa’h, la Pâque juive, tombe le 15 Nissan, Yom ha-Choah et Yom ha-Zikaron, les jours du souvenir et Yom ha-Atsmaout, le jour de l’indépendance de l’Etat d’Israël, Lag ba-Omer, le 33e jour de l’Omer se rattache à Rabbi Akiva, Chavouot, la fête du don de la Torah sur le mont Sinaï, Ticha be-Av, le 9e jour du mois d’Av, pour se souvenir de la destruction du Temple, Tou be-Av, le 15e jour du mois d’Av où à l’époque du second Temple les jeunes gens choisissaient leur fiancées. Le quatrième livre aborde Chabbat et Roch ‘Hodech. 6 De ‘Hanoukka à Pourim Après les fêtes du mois de Tichri, abordons celles des mois d’hiver : ‘Hanoukka ou la fête des Lumières, à la fin du mois de Kislev, ֲחנוּ ָכּה; ִכּ ְס ֵלו Tou bi-Chevat ou la fête du réveil de la nature, le 15 du mois de Chevat, ָבט ְשׁ ְשׁ ָבט; ִבּ וּ”ט Pourim ou la fête des sorts, à la moitié du mois d’Adar. ‘Hanoukka et Pourim sont deux fêtes qui commémorent un moment de l’histoire où le peuple juif a failli disparaître. וּפּ ִרים; ֲא ָדר A ‘Hanoukka, on célèbre la victoire du peuple de Judée contre Antioche Epiphane qui veut imposer le culte des dieux grecs. Antioche Epiphane pille le Temple de Jérusalem, y place une statue de Zeus et détruit les rouleaux de la Torah. Ceux qui observent le Chabbat et les fêtes ou pratiquent la circoncision risquent désormais la mort. ַשׁ ָבּת ְיהוּ ָדה וֹתּ ָרה; A Pourim, on se rappelle le moment où les Juifs de l’ancien royaume de Perse ont été sauvés. Sans Esther, venue plaider la cause de son peuple devant le roi Assuérus (A’hacheveroch) au péril de sa vie, Aman, le conseiller du roi, aurait réussi à faire tuer tous les Juifs du royaume. Entre ces deux fêtes, Tou bi-Chevat traduit le lien du peuple d’Israël à sa terre. ָה ָמן ֶא ְס ֵתּר ֲא ַח ְשֵׁור;שׁוֹ 7 ‘Hanoukka חנוכה ‘Hanoukka La fête de ‘Hanoukka dure huit jours. Elle débute le 25 du mois de Kislev et commémore la victoire des ַח ְשׁמוַֹנ ִאים ֶרץ ִי ְשׂ ָר ֵאל ֶא Asmonéens sur les Grecs en Erets Israël de 167 à 165 AEC. Elle est appelée la « fête de la Dédicace » ou la « fête des Lumières ». ‘Hanoukka est la plus populaire des fêtes juives. Elle célèbre trois évènements historiques : le miracle de l’huile, la victoire des Asmonéens, la restauration de la royauté en Erets Israël. Us et coutumes De nos jours, l’usage est d’allumer une lumière le premier soir de ‘Hanoukka, deux lumières le second et ce ainsi de suite jusqu’au huitième soir. 10 Livre des coutumes, Hollande, 1724 L’Ecole de Chamaï et l’Ecole d’Hillel ont développé deux façons d’allumer les ַשׁ ַמּאי; ֵבּית bougies de ‘Hanoukka. L’Ecole de Chamaï allume huit flammes dès le premier soir et supprime une lumière chaque soir, pour terminer la fête par une seule lumière. L’Ecole d’Hillel commence par une seule lumière le premier soir pour arriver à huit lumières le huitième soir de ‘Hanoukka. La synagogue A la synagogue, on allume les bougies entre la prière de Min’ha et la prière d’Arvit en présence de dix hommes. Le vendredi, l’allumage a lieu avant la prière de Min’ha. La maison Le Choul’han Aroukh insiste sur l’obligation d’allumer les lumières de ‘Hanoukka. Dans chaque famille, hommes et jeunes garçons allument les lumières de leur ‘Hanoukkia après la prière d’Arvit. S’ils sont absents, c’est la femme qui procède à l’allumage. Les membres de la famille s’abstiennent de s’affairer tant que les flammes brûlent. Puisque la fête a un rapport avec l’huile, la coutume est de manger des mets frits à l’huile. ֵבּית ִה ֵלּל ִמנְ ָחה ַע ְר ִבית וּשׁ ְל ָחן ָערוּ ְך ֲחנֻ ִכָּיּה 11 Mattathias Mattathias, Lion Antolkolski, Erets Israël, 1894 L ion Antokolski représente Mattathias sous les traits d’un personnage barbu vêtu d’une longue robe blanche. Cinq personnages sont au devant de la scène. Ce sont sans doute les fils de Matthatias : Jean, Simon, Juda, Eléazar et Jonathan. 12 Mattathias, prêtre de la maison d’Asmon, mène une lutte acharnée contre Antioche Epiphane qui veut imposer le culte des dieux grecs aux habitants de la Judée. En 1900, Boris Schatz présente une sculpture de Mattathias à l’Exposition universelle de Paris. Il s’intéresse beaucoup à ce personnage et le représente âgé, en train d’haranguer les foules, debout sur le corps d’un soldat grec. Coiffé d’une toque et vêtu d’une longue cape nouée, il brandit de sa main droite une épée et désigne le chemin à suivre de sa main gauche. Mattathias a inspiré de nombreux artistes. Ils l’ont le plus souvent représenté sous les traits d’un vieil homme menant la révolte contre les oppresseurs. Le bras levé, on l’imagine ici s’adresser au peuple : Que celui qui a du zèle pour la Torah et maintient l’Alliance me suive ! (Premier livre des Maccabées, 2, 27) Que traduit en sculpture ou en peinture le geste du doigt pointé ? Mattathias, Boris Schatz, Erets Israël, 1895 Juda et Judith Le manuscrit de Rothschild est un manuscrit sur parchemin de 948 pages décoré en 816 miniatures. Réalisé dans la région de Ferrare, en Italie, il réunit des textes bibliques, rituels et littéraires. C’est Moïse ben Yekoutiel ha-Cohen qui l’a commandité en 1479. Cette enluminure provient du livre de Josippon, qui relate l’histoire des Juifs depuis les temps bibliques jusqu’à la destruction du Second Temple. יְהוּ ָדה ַה ַמ ַכּ ִבּי ְמנוֹ ָרה L’inscription hébraïque מכבי – Maccabée désigne le soldat Juda Maccabée représenté de plein pied et revêtu d’une cotte de mailles. Son bouclier est frappé de l’image du lion symbole de la tribu de Juda. L’histoire de Juda est rapportée dans le premier livre des Maccabées. Il y est écrit que Juda a instauré la fête de ‘Hanoukka trois ans après avoir reconquis le Temple. Ainsi, la Ménorah fut rallumée le 25 Kislev de l’an 165 AEC. Manuscrit de Rothschild, Italie, 1470 L’histoire de Judith a été très populaire dans les milieux juifs. La tradition la date de l’époque des Maccabées. Sur le côté droit de la page, Judith vient de trancher la tête du général Holopherne envoyé par Nabuchodonosor pour détruire la ville juive de Béthulie. Devant une tente majestueuse, elle tient d’une main une épée et de l’autre la tête d’Holopherne. Elle est vêtue d’une longue robe rouge plissée à partir de la taille. Elle est coiffée d’un voile blanc qui lui entoure le cou. A quelle époque les femmes se coiffaient-elles comme la Judith qui figure sur cette enluminure ? 15 La Ménorah à travers les âges Pourquoi la Ménorah est-elle devenue le symbole national et religieux d’Erets Israël ? Pièce en bronze, Israël, 40-37 AEC La dynastie asmonéenne s’achève avec le règne de Mattathias Antigone en 37 AEC. Mattathias Antigone est le premier dirigeant à faire figurer un motif juif sur les pièces de monnaie. La Ménorah du Temple devient symbole national et religieux. Elle remplace la corne d’abondance, la fleur de lys et les couronnes de fleurs symboles de la Grèce. 16 Au moyen âge, à Cervera, en Espagne, Joseph ha-Tsarfati écrit et enlumine une Bible. Il représente le chandelier dont a rêvé le prophète Zacharie en revenant de l’exil de Babylone en 537 AEC. C’est un chandelier en or. Des branches d’olivier alimentent trois fioles qui, à leur tour, nourrissent le chandelier. Lors du premier Chabbat de ‘Hanoukka, on lit la Haftara concernant les huit visions de Zacharie. ַה ְפ ָט ָרה Bible de Cervera, Espagne, 1300 Au 19e siècle, les marchands ambulants vendent aux pélerins venus visiter Erets Israël pour les fêtes, des feuilles volantes. Celle-ci, imprimée chez Isaac Nahum Levi, à Jérusalem, comprend des bénédictions en rapport avec ‘Hanoukka. On y voit la représentation du Temple, divers lieux saints d’Erets Israël et la Ménorah allumée. Identifie les sept lieux entourant le Temple ! 17 Prière pour ‘Hanoukka, Erets Israël, 1900 ‘Hanoukkiot en terre glaise et en pierre La ‘Hanoukkia est un objet très populaire que l’on trouve dans chaque foyer. Elle revêt différentes formes et peut être fabriquée en divers matériaux : en terre cuite, en céramique, en bois, en pierre, en métal et même en verre. Sa spécificité est que les flammes soient séparées les unes des autres pour ne pas donner l’impression d’une seule lumière. L’historien Juif Flavius Josèphe raconte l’histoire des Maccabées. Il est le premier à nommer ‘Hanoukka la Fête de la Lumière, lumière d’espoir pour le peuple. Les premières lampes en terre glaise n’ont pas de style particulier. Elles s’inspirent des luminaires en usage à cette époque. Placées devant les maisons, elles répondent à leur fonction : faire connaître le miracle de ‘Hanoukka. Lampe à huile, Erets Israël, 160 AEC 18 Les lampes de ‘Hanoukka en pierre retrouvées au Maroc et dans le sud de la France (en Avignon) se ressemblent. On allume les mèches à l’intérieur de chaque arche. Sur cette ‘Hanoukkia on peut lire le nom de son propriétaire gravé dans la partie supérieure de la lampe : Yossef Cohen. Au Yémen les lampes en pierre ont une forme différente. Elles sont rondes, en albâtre, une pierre claire qui devient translucide lorsque la mèche est allumée. Lampe à huile, Maroc, 1800 Lampes à huile, Yémen, 20e siècle A quoi te fait penser la partie supérieure de cette ‘Hanoukkia ? 19 ָמֵגן ָדּוִד שׁמָּ שַׁ נְחוֹ ֶשׁת ‘Hanoukkiot en bois et en métal Cette ‘Hanoukkia en forme de Maguen David est en bois et provient de la région d’Alibag, dans le sud de l’Inde. Ce modèle existe également en métal. Les huit godets en verre sont placés devant le dosseret en forme de Maguen David. C’est à partir de la flamme du neuvième godet, le Chamach, situé dans la partie supérieure de la ‘Hanoukkia, que sont allumées les autres flammes. Les lampes métalliques apparaissent vers le 13e siècle. Rav Mordekhaï ben Hillel est le premier à expliquer l’utilisation du cuivre dans la fabrication de la Ménorah. Les lettres du mot cuivre, Ne-‘Ho-SheT en hébreu, ְחנֻ ָכּה ֵנר sont les initiales de : Ner ֶשׁ ֶמן ת ְד ִליק 20 Quelle huile utilise t-on pour allumer les lumières de ‘Hanoukka ? ‘Hanoukkia, Inde, 20e siècle ‘Hanoukka Shemen Tadlik qui signifie : Tu allumeras la ‘Hanoukkia avec de l’huile. Influencé par les décors classiques de la renaissance italienne, l’artiste a décoré le dosseret de cette ‘Hanoukkia d’un mascaron entouré de part et d’autre d’un animal fantastique. A l’origine, cette ‘Hanoukkia était dorée à la feuille. Le dosseret de cette ‘Hanoukkia, de Bagdad, est en ‘Hanoukkia, Italie, 1700 forme d’arche. Il est décoré de motifs de lunes, d’étoiles et de mains, motifs utilisés par les communautés juives et musulmanes. Huit anneaux prêts à recevoir les godets en verre remplis d’huile sont soudés à la base du dosseret. On repeignait cette ‘Hanoukkia en doré chaque veille de fête. ‘Hanoukkia, Irak, 1900 Cette ‘Hanoukkia en verre et en métal est typique des ‘Hanoukkiot fabriquées par des artisans de l’île de Djerba. Son dosseret triangulaire est en verre moulé. 21 ‘Hanoukkia, Tunisie, 1925 ‘Hanoukkiot en argent Vers le 16e siècle, on commence à créer des ‘Hanoukkiot différentes. On peut, au choix, les poser sur un meuble ou les accrocher au mur. Cette ‘Hanoukkia, réalisée par Ludwig Nast a sur En quelle matière sont les mèches qui servent à l’allumage de la ‘Hanoukkia ? son dosseret une Ménorah entourée de deux griffons, créatures chimériques moitié aigles dans la partie supérieure et moitié lions dans la partie inférieure. L’orfèvre a placé une couronne au-dessus de la Ménorah. Huit godets sont soudés à la base du dosseret. ‘Hanoukkia, Pologne, 1845 A la fin du 19e siècle, l’Autriche est le centre de l’orfèvrerie en Europe centrale. Sur cette ‘Hanoukkia apparaissent deux têtes de lion de chaque côté d’une couronne. 22 ‘Hanoukkia, Bohème, 1875 A Vienne le paon qui fait la roue est un motif à la mode. Il se répand dans les communautés voisines comme sur cette ‘Hanoukkia fabriquée à Prague par l’orfèvre Franz Stephan. ‘Hanoukkia, Autriche, 1890 ַתּ ְלמוּד De la ‘Hanoukkia à la Ménorah Le Talmud autorise la fabrication de chandeliers à cinq, six ou huit branches pour ‘Hanoukka mais interdit l’utilisation de chandeliers à sept branches, symbole de la Ménorah du Temple. Au moyen âge, il n’était pas encore question de fabriquer des ‘Hanoukkiot en forme de chandelier. Ce chandelier de ‘Hanoukka en argent a la forme de la Ménorah avec un pied central, un modèle qui était à la mode en Europe à partir de 1750. L’orfèvre qui l’a créé, Heinrich Kommerell, était un des rares orfèvres à travailler dans la ville de Tübingen, en Allemagne. Chandelier, Allemagne, 1825 23 ‘Hanoukka en famille ! Un Maguen David à fond bleu est dessiné sur le coffre où est posée la ‘Hanoukkia. A l’intérieur du Maguen David, s’inscrit la lettre ש. A ton avis pourquoi ? ‘Hanoukka, Arthur Szyk, Etats-Unis, 1948 A l’intérieur d’une petite pièce aux murs bleus, les membres de la famille et les voisins sont réunis pour assister à l’allumage des lumières de ‘Hanoukka. Arthur Szyk imagine l’ambiance de la fête dans un Schtetl en Pologne. Le plus grand des enfants a allumé la dernière bougie et tient encore le Chamach à la main. Les regards de chacun sont dirigés vers une personne que nous ne voyons pas et à laquelle le grand-père au premier plan répond. Sur la table, on aperçoit un chandelier allumé en l’honneur de la fête. Sur la table, un chandelier est allumé en l’honneur de la fête. 24 Le peintre Moritz Oppenheim décrit l’intérieur classique et rangé d’une famille juive allemande émancipée du 19e siècle. Dans la première pièce, deux hommes jouent aux échecs tout en fumant la pipe. Un jeu de cartes est posé sur la table. Par terre, des enfants font tourner une toupie. Près de la fenêtre, un autre enfant allume une ‘Hanoukkia sous la surveillance d’un adulte. Il tient un livre de prières à la main. Plusieurs ‘Hanoukkiot sont posées sur le rebord de la fenêtre. Les rideaux ont été relevés. Certaines ‘Hanoukkiot sont déjà allumées, d’autres pas encore. Quelques marches mènent à une autre pièce où un groupe d’hommes assis conversent. Sur quoi les toupies tournent-elles ? Allumage des bougies de ‘Hanoukka, Moritz Oppenheim, Allemagne, 1880 25 ִביבוֹן ְס ִביבוֹן ְס סֹב סֹב סֹב ֵנס ָגּדוֹל Sevivon sov sov sov ! A ‘Hanoukka les enfants jouent à la toupie. En hébreu moderne la toupie est appelée « Sevivon » . Sov signifiant « tourne ». Les enfants s’amusent à faire tourner leur toupie sur l’air de « Sevivon, sov sov sov » (Toupie tourne, tourne, tourne !). On faisait déjà tourner des toupies à ‘Hanoukka à l’époque du Second Temple. Bien plus tard, dans les communautés d’Europe, certains rabbins jouaient à la toupie durant les huit soirs de ‘Hanoukka. En Diaspora, les lettres hébraïques « Noun », « Guimel », « Hé » et « Chin » sont inscrites sur les quatre faces de la toupie. Ce sont les premières initiales de la phrase : « Nes Gadol Haya Cham » (un grand miracle s’est produit là-bas). ָשׁם ָהָיה En Israël, la dernière lettre est changée en « Pe ». Ce qui donne : ֵנס ָגּדוֹל ָהָיה פֹּה « Nes Gadol Haya Po » (un grand miracle s’est produit ici). Le jeu consiste à savoir sur quelle lettre la toupie va tomber. Il existe des toupies de toutes sortes, en bois, en métal, en céramique et en plastique. 26 Cette toupie, dessinée par Olga Hatskevich, est une miniature dont la technique rappelle celle de l’Ecole de Palekh en Russie. L’artiste a peint, à la demande du commanditaire de l’objet, des épisodes de la vie de Jacob et d’Esaü. Les scènes sont peintes sur un fond noir et recouvertes de sept à huit couches de laque. ַיֲעקֹב ֵע ָשׂו Toupie, Israël, 2000 Toupie de ‘Hanoukka, Israël, 2001 27 Judith au théâtre En 1922, Henry Bernstein demande à Léon Bakst de créer les costumes de sa nouvelle pièce de théâtre : Judith. Lev Samoïlovitch Rosenberg, dit Léon Bakst, est né à Grodno, en Biélorussie, en 1866. Il change son nom après sa première exposition de peinture et devient célèbre pour ses costumes de scène. Léon Bakst est un spécialiste des pièces de théâtre biblique. Grâce à une juxtaposition originale de couleurs, il fait revivre le faste légendaire des cours royales. Le style de Léon Bakst dans les costumes et les décors qu’il crée respecte scrupuleusement les sources historiques. L’utilisation des ors, des pierreries, des étoffes aux couleurs vives provoque un choc chez les spectateurs. Pour la pièce de Judith, Henry Bernstein commande à Bakst des costumes simples et stricts pour Judith et sa servante Ada. En revanche, il demande que les costumes d’Holopherne et des généraux de Nabuchodonosor soient somptueux. 28 Costumes pour la pièce Judith, Paris, 1922 29 Abraham Goldfaden ְשׂ ָכּ ָלה ַה Abraham Goldfaden est né en Ukraine en 1840. Il est élevé dans une famille imprégnée par la Haskala et reçoit des cours privés d’allemand et de russe. Après avoir fréquenté une école rabbinique, il devient tour à tour enseignant, journaliste, poète, et pense même entreprendre des études de médecine. Mais, à 36 ans, il débute sa carrière d’auteur et de directeur de troupe de théâtre. Commence alors pour lui une vie errante où il se déplacera de ville en ville en Russie pour monter des pièces de théâtre essentiellement écrites en yiddish. En Russie, le théâtre yiddish est florissant. Mais l’année 1881 est marquée par des pogroms. Goldfaden se met à utiliser le théâtre pour appeler à des changements. Ses tragédies, basées sur des thèmes bibliques : Judith et Holopherne, Judas Maccabée, ont pour sujet la révolte. En 1883, les autorités russes interdisent le théâtre yiddish. Goldfaden quitte la Russie. Ses pièces sont jouées dans le monde entier. Pourtant, il vit dans la misère. A New-York en 1906, il écrit David en guerre, la première pièce en hébreu à être représentée en Amérique. 30 Abraham Goldfaden, Angleterre, 1890 31 Tou bi-Chevat ט”ו בשבט Tou bi-Chevat Tou bi-Chevat, le 15 du mois de Chevat, traduit le lien du peuple d’Israël à sa terre. כֹּ ֵהן Les habitants d’Erets Israël déterminaient à Tou bi-Chevat le montant de la dîme à verser sur les arbres fruitiers. Les bourgeons fleurissent en Erets Israël vers le 15 du mois de Chevat. C’est donc à cette date précise, à partir de la quantité de bourgeons, qu’on décide de calculer la dîme à donner aux Cohen et aux pauvres. Livre des coutumes, Hollande, 1707 ָפ ַר ִדּים ֵעץ ָה ָדר ְס ְפּ ִרי La fête de Tou bi-Chevat disparaît après la destruction du Second Temple mais au 15e siècle, à Safed, Isaac Louria réintroduit la coutume de manger des fruits d’Erets Israël à Tou bi-Chevat. Au 17e siècle, les communautés séfarades publient un recueil de prières intitulé « Pri Ets Hadar » (les fruits de l’arbre de la splendeur). A qui était destinée la dîme sur les arbres fruitiers ? 34 Des arbres en bronze Arbres, Lev Stern, 1995 Lev Stern, architecte de métier, sculpte les arbres de Jérusalem. Ces arbres en bronze de 10 à 20 cm de hauteur sont soudés à des bases métalliques carrées. Est-ce que les lois de la dîme sur les fruits des arbres s’appliquent en dehors d’Erets Israël ? A l’époque de la Michna, l’Ecole d’Hillel observe que, vers le 15 du mois de Chevat, les pluies commencent à diminuer d’intensité, la sève des arbres reprend son ascension et les bourgeons se forment. ִמ ְשָׁנה 35 Plantons un arbre pour Tou bi-Chevat En 1908, on décide que tous les enfants des écoles d’Erets Israël planteront un arbre le 15 du mois de Chevat. ֶא ֶרץ ְבּ ִביב אָ Vingt ans plus tard, Joseph Gläser tourne un film, Aviv be Erets Israël, Printemps ְשׂ ָר ֵאל ִי en Erets Israël, financé par le Fonds national Juif, le KKL. Né à Vienne en Autriche, en 1890, Joseph Gläser change son nom en Joseph Gal-Ezer en arrivant en Erets Israël. Ami du peintre et sculpteur Boris Schatz, il monte, sur les conseils de ce dernier, une société de production de films à sujets bibliques. Dans ses premiers films, il montre comment les nouveaux immigrants travaillent la terre. Il insiste sur l’effort de reconstruction, le travail agricole et les valeurs socialistes qui guidaient les dirigeants de l’époque. En 1884, les habitants du village de Yessod ha-Maala en Galilée décident de replanter les espèces qui poussaient autrefois en Israël. Quelles espèces ont-ils replanté d’après toi ? 36 Aviv be Erets Israël, Erets Israël, 1928 37 Pourim פורים Pourim Pourim est appelé la Fête des sorts, car c’est par tirage au sort qu’Aman s’apprêtait à fixer la date du massacre des Juifs : …car Aman, fils de Hamedata, l’Agaghite, persécuteur de tous les Juifs, avait formé le dessein d’anéantir les Juifs et consulté le Pour, c’est-à-dire le sort, à l’effet de les perdre et de les détruire… (Esther 9, 25) ַתֲּענִית ְס ֵתּר ֶא On célèbre Pourim pendant trois jours : le 13 Adar : jeûne d’Esther Taanit Esther, le 14 Adar : Pourim, le 15 Adar : Pourim est célébré dans les villes entourées de remparts, comme Jérusalem. Livre des coutumes, Allemagne, 1692 ְמגִ ָלּה 40 Us et coutumes Pendant la lecture de la Méguila, chaque fois qu’est prononcé le nom d’Aman, les fidèles tapent du pied ou encore font tourner des crécelles, pour effacer son souvenir. La synagogue Avant de lire la Méguila, chacun donne le Ma’hatsit ha-chekel, un demi-chekel, destiné aux pauvres. Cette somme est un rappel de l’impôt versé à partir du 1erAdar pour la maintenance du Temple. ַה ֶשּׁ ֶקל ַמ ֲח ִצית La Méguila est lue deux fois : le premier soir de Pourim après la prière d’Arvit et le matin de Pourim. Hommes, femmes et enfants ont l’obligation d’écouter la lecture de la Méguila. L’officiant prononce trois bénédictions à l’intention de l’assistance qui répond Amen : al mikra méguila (sur la lecture de la Méguila) ְמגִ ָלּה ְק ָרא ִמ ַעל che assa nissim (qui a fait des miracles) che He’heyanou (qui nous a fait vivre) A la synagogue, l’histoire d’Esther est lue sur un rouleau de parchemin. La maison A la maison c’est par un grand festin, le 14 ou le 15 Adar, pendant lequel on doit s’enivrer au point de confondre Aman et Mordekhaï que la fête prend fin. Durant la fête, chaque famille donne à ses voisins, à ses amis et aux pauvres de la nourriture car il est écrit : …des jours de festin et de réjouissances et une occasion d’envoyer des présents l’un à l’autre et des dons aux pauvres… (Esther 9, 22) ֶשׁ ָע ָשׂה נִ ִסּים ֶשׁ ֶה ֱחָינוּ ָמ ְרֳדּ ַכי 41 La reine Esther La Méguilat Esther se présente sous la forme d’un parchemin enroulé autour d’un pivot. Elle relate la tentative de massacre fomentée par Aman et déjouée par la reine Esther. Cet épisode s’est passé en Perse à l’époque du roi Assuérus (A’hachveroch). On pense qu’il s’agit du roi Xerxès. Sur cette feuille volante, l’artiste a dessiné deux moments importants de l’histoire d’Esther : en haut de la feuille, la demande d’audience d’Esther devant le roi symbolisé par le sceptre royal, au bas de la feuille, Mordekhaï promené par Aman sur le cheval du roi. C’est Yaacov Sofer qui a réalisé les dessins et l’encadrement de la feuille en micrographie à Tibériade, en Erets Israël. La micrographie est l’écriture d’un texte en lettres hébraïques minuscules formant parfois un dessin. Les scribes des communautés orientales sont les premiers à l’utiliser à partir du 9e siècle. 42 Le moyen âge est l’âge d’or de la micrographie. Sur les marges ou à la fin des Bibles, les scribes écrivaient en micrographie les règles d’écriture de l’hébreu biblique : la préparation du parchemin, la forme des lettres, l’espace entre les lettres et les mots. Ces indications sont connues sous le nom de massorètes. Esther, Erets Israël, 1887 Que risquait Esther en se présentant devant le roi sans avoir demandé audience ? L’histoire d’Esther à Doura-Europos La première mise en image de l’histoire d’Esther date de l’an 245 et provient de la synagogue de Doura Europos en Syrie. Elle illustre le verset : Aman prit donc le vêtement et le cheval, il habilla Mardochée et le promena à cheval par la grande place de la ville, en s’écriant devant lui : voilà ce qui se fait pour l’homme que le roi veut honorer ! (Esther 6, 11) Le dessin de la fresque se lit de droite à gauche et est composé de quatre parties : ןשָׁ וּשׁ à droite, le roi et Esther sont assis sur le trône royal. Les escaliers du trône sont décorés d’aigles et de lions. un messager remet un pli au roi. Il s’agirait du décret permettant aux Juifs de se défendre. quatre hommes vêtus de toges romaines accueillent Mordekhaï en le saluant de la main. Aman promène Mordekhaï dans les rues de Suse. 44 La découverte des peintures de la synagogue de Doura Europos en 1932 a incité les chercheurs à admettre l’existence d’un art juif. Quel roi avait un trône dont les escaliers étaient décorés d’aigles et de lions ? Fresque de la synagogue de Doura Europos, Syrie, 245 45 La Méguilat Esther L’écriture de la Méguilat Esther répond à des règles précises. Si, lors de la copie, le scribe oublie une lettre ou un mot, la Méguila est inutilisable, car pas conforme au texte. Les scribes recopient leur texte de manière à avoir constamment le même nombre de lignes du début jusqu’à la fin du rouleau. Méguilat Esther, Bohème, 1750 Méguilat Esther, Tunisie, 1920 L’étui en argent de cette Méguilat Esther a été réalisé à Brno, en République Tchèque. Il est gravé de scénettes, de motifs géométriques et floraux. Au sommet de l’étui se tient un petit personnage debout, un bras à la taille, le second tendu comme s’il tenait un objet. 46 Cette Méguilat Esther provient de Djerba. Le parchemin est fixé sur un axe en métal. L’étui de la Méguila est en bois. Dans certaines communautés aisées, comme celles d’Izmir en Turquie, des particuliers se faisaient fabriquer des étuis de Méguila en or. Cet étui, en or 22 carats, exécuté pour David Ben Isaac Léon, a été travaillé en filigrane. Dans la partie haute trois couronnes se chevauchent. Une perle décore le sommet de l’étui. Méguilat Esther, Turquie, 1873 Combien de versets y a-t-il dans une Méguilat Esther et par quelle lettre commence et finit ce récit ? 47 Une Méguila enluminée Aucune règle n’interdit de décorer une Méguilat Esther lorsqu’elle est destinée à un particulier. Au fil du temps, les décors floraux et géométriques qui se trouvent dans l’artisanat local occupent l’espace libre laissé par le scribe. Il est rare de voir la représentation d’un personnage sur une Méguilat Esther réalisée dans une communauté de terre d’Islam. Cette Méguila dessinée à Essaouira est plutôt grande pour une Méguila enluminée au Maroc. Ses motifs géométriques et végétaux se retrouvent dans l’artisanat marocain. L’arabesque, le losange, le cercle, le triangle, le rectangle sont des motifs courants des tapis et des tatouages du Maroc. 48 Méguilat Esther, Maroc, 1775 49 Un décor gravé En Europe, les scribes-enlumineurs dessinent, gravent ou peignent des personnages sur leur Méguila, et ce, depuis la fin du 16e siècle. Le support de cette Méguila est en parchemin. Le décor a d’abord été gravé puis imprimé en de nombreux exemplaires. Dix-huit colonnes blanches ont été laissées au scribe pour qu’il y appose son texte. Produites à Amsterdam, ces Méguilot ont été vendues un peu partout en Europe. Sur la première page, en haut, le roi et la reine, assis sur un trône, sont encadrés par leur cour : les hommes d’un côté, les femmes de l’autre. ְג ָתן; ֶת ֶרשׁ ִבּ Au centre de la page, entre le dessin de la pendaison des fils d’Aman et celui de la pendaison des deux chambellans du roi, Bigtan et Terech, le scribe a écrit les bénédictions de la Méguila. Le bas de la feuille est occupé par trois scénettes : à droite, Mordekhaï, aux portes de la ville, avertit Esther du danger. au centre, Mordekhaï est promené par Aman dans la ville de Suse. à gauche, Esther et Mordekhaï rédigent un courrier aux communautés juives pour leur annoncer le renversement de la situation. 50 51 Méguilat Esther, Hollande, 1700 Moché Pescarol : un scribe enlumineur Moché ben Abraham Pescarol compte parmi les rares scribes-enlumineurs qui ont signé et daté leurs œuvres. Il a vécu et travaillé en Italie à Ferrare en 1618, après le départ des ducs d’Este. Trois de ses Méguilot nous sont parvenues. Inspiré par son époque, Pescarol a vêtu les soldats du roi Assuérus (A’hachveroch) à la mode de son temps. Tous les personnages portent la moustache. Au-dessus de la tête des soldats, les panoplies témoignent de leur grade. L’histoire d’Esther indique que le roi avait offert un festin aux officiers de son armée : … il donna, dans la troisième année de son règne, un festin à l’ensemble de ses grands et de ses serviteurs, à l’armée de Perse et de Médie, aux satrapes et aux gouverneurs des provinces [réunis] en sa présence… (Esther 1, 3) Quel lien peut-on établir entre la main du roi posée sur l’épaule du premier personnage et le chien qui saute sur la jambe du personnage au visage de profil ? Méguilat Esther, Italie, 1620 D’après toi, pourquoi ne voit-on pas de fenêtres aux murs de la synagogue ? Méguilat Esther, Italie, 1620 Cette manière d’illustrer le verset n’appartient qu’à Pescarol : Va rassembler tous les Juifs présents à Suse, et jeûnez à mon intention; ne mangez ni ne buvez pendant trois jours- ni jour ni nuit- moi aussi avec mes suivantes, je jeûnerai de la même façon. Et puis je me présenterai au roi, et si je dois périr, je périrai ! (Esther 4, 16) Nous voyons ici l’intérieur d’une synagogue à Ferrare avec les nombreuses lampes à huile accrochées au plafond. L’officiant est devant l’Aron. Seuls les trois hommes assis au premier plan sont recouverts de leur Talith. Les coiffes des hommes diffèrent. Certains portent un béret aplati, d’autres un béret à rebord. ֲארוֹן ַט ִלּית 53 La pendaison des fils d’Aman Le roi ordonna de procéder de la sorte : un édit fut publié à Suse, et on pendit les dix fils d’Aman. (Esther 9, 14) Sur chaque Méguila, un feuillet entier est laissé au scribe pour écrire les noms des dix fils d’Aman. Selon les lois d’écriture l’espace central doit rester vide. Mais cette règle a rarement été respectée sur les Méguilot écrites pour des particuliers. Méguilat Esther, Allemagne, 1700 La potence est dessinée chaque fois de manière différente. Sur cette Méguila, dont le texte est inscrit dans un espace arrondi et entouré d’un décor fantastique, onze personnes sont pendues à la même potence. Il s’agit d’Aman et de ses dix fils. Leurs corps sont comme agités par le vent. 54 Cette Méguilat Esther a été écrite et enluminée par Arié Loeb ben Daniel de Goray. Originaire de Galicie, il émigre à Venise en Italie vers 1740 où il enlumine une quinzaine de Méguilot. En reprenant des motifs de Galicie et d’Italie et en utilisant la couleur sépia, Arié Loeb ben Daniel de Goray développe un style personnel. La pendaison des fils d’Aman est dessinée dans un médaillon en bas de page. Le lion est très utilisé parmi les motifs décoratifs. De quelle tribu est-il le symbole ? 55 Méguilat Esther, Italie, 1745 La fille d’Aman Le texte est écrit dans un cadre octogonal. C’est sans doute pour laisser de la place au décor. Les costumes, les coiffures des personnages et l’architecture nous renvoient aux environs de 1700 et l’écriture séfarade indique la communauté d’Hambourg. ְד ָרשׁ ִמ La fille d’Aman n’apparaît pas dans l’histoire d’Esther. Le Midrach nous raconte qu’elle se pencha à la fenêtre et versa le contenu d’un pot de chambre sur celui qui tenait la bride du cheval. Lorsqu’elle s’aperçut de son erreur et qu’elle comprit que c’est sur la tête de son père qu’elle avait déversé les eaux sales, elle se jeta par la fenêtre et se tua. Cette scène se retrouve sur de nombreuses Méguilot. Sur la Méguila d’Hambourg on peut voir de haut en bas quatre moments de l’histoire d’Esther : la communauté de Suse se venge de ses ennemis, la fille d’Aman déverse le contenu d’un pot de chambre sur la tête de son père, la fête dans la ville de Suse, le roi et la reine, une fois le calme revenu. 56 Pourquoi les personnages ne sont-ils pas habillés à la mode perse ? Méguilat Esther, Hambourg, 1700 57 Affiches de Pourim Abraham Leib Monsohn ouvre le premier atelier de lithographie à Jérusalem en 1892. Il imprime cette affiche trois ans après son installation. Pour sa réalisation, Monsohn s’est servi à la fois de dessins originaux et d’illustrations sur Pourim qui existaient déjà. On peut y voir : l’audience d’Esther, Mordekhaï sur le cheval du roi, la pendaison d’Aman. 58 Affiche, Erets Israël, 1895 Le dessin de cette affiche a été réalisé par Moché chah Mizra’hi, l’un des premiers artistes à essayer de vivre de son art au début du 20e siècle à Jérusalem. En habillant ses personnages de l’uniforme porté par les soldats turcs de son époque, il donne un style personnel à ses compositions. Cette affiche a été publiée chez Monsohn. Quels sont les épisodes les plus marquants de l’histoire d’Esther que tu retrouves sur cette affiche ? Affiche, Erets Israël, 1902 59 Michloa’h Manot A Pourim, aussi bien en Israël qu’en diaspora, les familles s’échangent des mets, comme il est écrit : … une occasion d’envoyer des présents l’un à l’autre et des dons aux pauvres. (Esther 9, 22) Dans certaines communautés, on disposait les mets sur des assiettes ou dans des boîtes en bois. Sur le fond de cette assiette en faïence, l’artiste a reproduit Aman et Mordekhaï. Celui-ci a tous les attributs royaux : le cheval du roi, le manteau rouge et le sceptre. Seules les rues de Suse ont pris l’allure d’un paysage verdoyant. Autour de la scène centrale est écrit : Faïence, France, 18e siècle Voilà ce qui se fait pour l’homme que le roi veut honorer ! (Esther 6, 9). Sur le bord de l’assiette on peut lire le verset 9, 22. 60 Feuille volante, Hongrie, 1900 On joignait une feuille imprimée pour accompagner les mets qu’on échangeait à l’occasion de Pourim. Celle-ci provient de Hongrie dans le village de Miskolc. Joindre En haut de l’affiche, de chaque côté d’une étoile de David, l’artiste a dessiné deux barils de vin pour rappeler qu’à Pourim, il faut s’enivrer jusqu’à ne une feuille imprimée au Michloa’h Manot ne se pratique plus de nos jours. On peut voir sur cette feuille deux poissons à droite et à gauche d’une table. Ce sont les symboles du signe astrologique correspondant au mois d’Adar. plus différencier Aman de Mordekhaï. En bas, est écrit le chant le plus populaire de Pourim : Chochanat Yaacov qui se lit dans les communautés achkénazes à la fin de la lecture de la Méguilat Esther. ָמנוֹת ִמ ְשׁלוֹ ַח וֹשׁ ַשַנּת ַיֲעקֹב ְשׁ ְכַּנז אַ 61 Des crécelles Lors de la lecture de la Méguilat Esther, ont fait tourner sa crécelle à chaque fois que l’officiant prononce le nom d’Aman. אוֹ ַרח ַחיִּים Ce sont les rabbins achkénazes qui ont instauré la coutume de faire du bruit lorsque le nom d’Aman est prononcé. Cette coutume figure dans le Ora’h ‘Haïm. Pourquoi Aman et Amalec sont-ils liés ? Crécelles, Etats-Unis, 20e siècle Crécelle, Israël, 20e siècle 62 Cette coutume d’effacer tout souvenir d’Aman trouve sa source dans le verset du Deutéronome concernant Amalec : Crécelle, Europe, 20e siècle ֲע ָמ ֵלק Souviens-toi de ce que t’a fait Amalec, lors de votre voyage, au sortir de l’Egypte; comme il t’a surpris chemin faisant, et s’est jeté sur tous tes traînards par derrière. Tu étais alors fatigué, à bout de forces, et lui ne craignait pas Dieu. Aussi, lorsque l’Eternel, ton Dieu, t’aura débarrassé de tous tes ennemis d’alentour, dans le pays qu’il te donne en héritage pour le posséder, tu effaceras la mémoire d’Amalec de dessous le ciel : ne l’oublie point. (Deutéronome 25, 17-19) 63 Une soirée de Pourim à Tel-Aviv Ce billet d’entrée, pour une soirée de Pourim à Tel-Aviv, décrit avec beaucoup d’ironie un monde où tout est idéal. Hitler distribue des autorisations d’émigrer en Erets Israël, tandis que dans la voiture, transformée pour l’occasion en landau, un jeune homme sioniste entoure de ses mains protectrices un Juif du ghetto et un Arabe. Le landau sur lequel est inscrit le mot « prospérité » en anglais écrase un crocodile qui porte le mot « dépression ». Au loin, une pancarte proclame que les Juifs sont invités à immigrer en Erets Israël. La soirée est organisée par l’Union des nouveaux immigrants originaires d’Autriche. L’artiste qui a signé du nom de May prend le contre-pied des événements politiques de l’époque : Hitler a interdit aux Juifs allemands et autrichiens de quitter leurs pays et les portes d’Erets Israël ont été fermées. La situation économique est désastreuse. Les relations sont tendues entre les immigrants adeptes du socialisme, les Arabes et les riches capitalistes. 64 Billet d’entrée d’une soirée de Pourim, Tel-Aviv, 1939 Quels moyens l’artiste utilise-t-il pour montrer sa sympathie envers le jeune travailleur ? 65 « Adloyada » à Tel-Aviv Le premier défilé de Pourim, appelé à l’époque carnaval, s’est déroulé à Tel-Aviv en 1912. Selon les témoignages, beaucoup de monde y ont assisté. Des poupées géantes ont été confectionnées et des centaines d’enfants étaient déguisés pour l’occasion. ַע ְדלֹאָי ַדע En 1932, l’écrivain Berkovitch proposa de nommer le défilé Adloyada, en se référant à une explication rabbinique où il est conseillé de boire à Pourim jusqu’à ne plus distinguer entre Béni soit Mordekhaï et Maudit soit Aman. Le mot Adloyada est alors entré dans le langage courant. Ce programme du défilé qui date de 1955 porte le sceau de la ville de Tel-Aviv Jaffa. Il montre Mordekhaï sur un cheval tiré par Aman. L’artiste a choisi de placer ses deux personnages sur un fond jaune. La position penchée d’Aman, son visage gris contrastent avec la position droite de Mordekhaï. 66 67 Programme des festivités de Pourim, Tel-Aviv, 1955 Quiz 1. Texte p. 10 Pourquoi nomme t-on aussi ‘Hanoukka la fête de la Dédicace ? a. car Mattathias avait dédicacé de son vivant tous les livres des Maccabées. b. car la célèbre chanson de Maoz Tsour chantée à l’occasion de ‘Hanoukka est dédicacée pour Mattathias et ses fils. c. car le Temple qui avait été profané par Antioche Epiphane avait été à nouveau mis en usage par les Maccabées et dédicacé. d. car dédicace est le surnom de Juda Maccabée. 2. Texte p. 11 De nos jours, on ajoute chaque soir de ‘Hanoukka une lumière supplémentaire pour arriver à un total de 8 bougies au dernier soir. Suivons-nous l’Ecole de Chamaï ou celle d’Hillel ? a. l’Ecole de Chamaï. b. l’Ecole d’Hillel. c. ni l’une, ni l’autre. d. les deux. 3. Texte p. 15 Quelle héroïne des temps bibliques est liée à la fête de ‘Hanoukka ? a. Esther. b. Judith. c. Myriam. d. Déborah. 4. Texte p. 16-18 Quelle est la différence entre une Ménorah et une ‘Hanoukkia ? a. l’une est en terre cuite, l’autre en pierre. b. l’une est le symbole de l’Etat d’Israël, l’autre du Consistoire de France. c. l’une est utilisée le soir de Chabbat, l’autre seulement à ‘Hanoukka. 68 d. l’une a sept branches, l’autre huit branches plus une pour le Chamach. 5. Texte p. 17 Sur l’enluminure de Joseph Ha-Tsarfati, la Ménorah est entourée de deux oliviers. A quoi font-ils référence ? a. à Israël, pays où l’on trouve beaucoup d’oliviers. b. à l’un des sept fruits d’Erets Israël. c. à la prophétie de Zacharie. d. au symbole de la ville natale de Joseph Ha-Tsarfati. 6. Texte p. 24 Dans le tableau d’Arthur Szyk, quel plat typique de ‘Hanoukka est servi à table ? a. du poisson pané. b. des gâteaux secs. c. du blanc de poulet. d. des beignets frits. 7. Texte p. 25 Quel jeu célèbre, pratiqué particulièrement pendant les soirées de ‘Hanoukka, se retrouve sur la peinture de Moritz Oppenheim ? a. un jeu de dés. b. un jeu de toupie. c. un jeu d’échecs. d. un jeu de l’oie. 8. Texte p. 34 Tou Bi-Chevat est l’un des quatre « Nouvel An » juifs. Pour qui est-ce une nouvelle année ? a. pour tous les hommes. b. pour les enfants. c. pour les arbres. d. pour les impôts. 69 Quiz 9. Texte p. 34 Depuis quand a-t-on recommencé l’usage de consommer des fruits d’Israël à Tou Bi-Chevat ? a. au 15e siècle avec R. Isaac Louria de Safed. b. aux premiers siècles sous l’influence de l’Ecole d’Hillel. c. au 20e siècle avec la création du Fonds national juif, le KKL. d. au 17e siècle avec la sortie du livre « Pri Ets Hadar ». 10. Texte p. 36 Quelle organisation juive favorise la plantation d’arbres sur la Terre d’Israël ? a. l’Alliance israélite universelle, AIU. b. le Fonds national juif, KKL. c. l’Organisation mondiale sioniste, OMS. d. le Fonds social juif unifié, FSJU. 11. Texte p. 44-45 A Doura Europos, les habits des personnages rappellent… a. l’époque égyptienne. b. l’époque grecque. c. l’époque romaine. d. l’époque du roi Louis XIV. 12. Texte p. 46 Quelle est la responsabilité du scribe dans l’écriture de la Méguila ? a. écrire à l’encre bleue. b. écrire en faisant des pleins et des déliés. c. écrire avec un stylo à quatre couleurs. d. écrire sans oublier un mot. 70 13. Texte p. 54 Qui sont les pendus que l’on retrouve dans certaines illustrations de la Méguilat Esther ? a. les brigands de la ville de Suse. b. les Juifs de Babylone. c. Aman et ses dix fils. d. Amalec. 14. Texte p. 58-59 Dans les illustrations de la fête de Pourim, qui représente-t-on chevauchant un cheval ? a. Assuérus. b. Antioche Epiphane. c. Aman. d. Mordekhaï. 15. Texte p. 60 Pourquoi trouve-t-on des assiettes, des boîtes en carton ou en bois décorés aux motifs liés à la fête de Pourim ? a. pour faire le Michloa’h Manot. b. pour organiser un déménagement le jour de Pourim. c. pour offrir à de jeunes mariés. d. pour décorer sa maison. 16. Texte p. 62 A quoi servent les crécelles ? a. à faire des beignets pour ‘Hanoukka. b. à faire du bruit lorsque le nom d’Aman est prononcé. c. à faire du bruit lorsque l’on apporte le Michloa’h Manot. d. à faire de la musique pendant le festin de Pourim. 71 Réponses Page 13 Une image est composée de personnages ou d’objets, un peu comme une phrase est composée de mots. En Europe au moyen âge, la peinture et la sculpture informaient les personnes qui ne savaient pas lire. Divers gestes permettaient de traduire des faits ou des idées. Le doigt pointé signifiait : donner un enseignement, affirmer, refuser ou, comme avec cette sculpture de Boris Schatz : montrer le chemin. Page 15 Au 12e siècle les femmes mariées se couvraient la tête et le cou d’une écharpe ou d’un voile fin. Sous le voile les cheveux étaient épars ou nattés. Page 16 La Ménorah est le plus vieux symbole juif. Elle a été utilisée sur les pièces, les murs et les sols des synagogues, de l’antiquité à nos jours. Le 11 Chevat 72 5709, soit le 10 février 1949, l’Etat d’Israël opte pour la Ménorah comme symbole d’Israël. Page 17 La vignette centrale représente l’emplacement du Temple. Elle est entourée de sept autres vignettes décrivant le Mur occidental, la maison royale de David, la tour de David, le tombeau de Rachel, le tombeau d’Absalon, la ville de Safed, Tibériade. Page 19 Au couronnement triangulaire en haut d’un édifice, appelé fronton en architecture. Page 20 Toutes les huiles sont autorisées mais on utilise en général de l’huile d’olive en souvenir de l’huile contenue dans la fiole retrouvée au Temple. Page 22 Toutes les mèches ainsi que les bougies en cire sont autorisées. L’usage des mèches en coton reste le plus courant. Page 24 ש est l’initiale du nom de l’artiste. Szyk s’écrit en hébreu : שיק. Page 25 Les toupies tournent dans les alvéoles d’un support en bois. Page 34 Les habitants d’Erets Israël devaient prélever la dîme des arbres fruitiers pour les pauvres ainsi que pour les Cohen et les Levi qui travaillaient au Temple. Page 35 Non, et c’est pour cela que la fête a disparu après la destruction du Second Temple, car le prélèvement de la dîme était destiné en particulier pour les prêtres qui travaillaient au Temple. Page 36 Des grenadiers et des cédratiers. Page 43 La peine de mort. Page 45 Le roi Salomon. Un Midrach raconte qu’Assuérus utilisait le trône volé au roi Salomon. Page 47 Toutes les Méguilot ont 167 versets. Elles commencent et se terminent par la même lettre : le Vav. 73 Réponses Page 52 En art chrétien, le chien symbolise la fidélité. Moché ben Abraham Pescarol veut montrer que l’armée est fidèle au roi Assuérus. C’est pourquoi il dessine, à gauche, le roi posant la main sur un de ses officiers en signe de confiance, et, à droite, un chien sautant sur la jambe de l’officier. Page 53 Au début du 17e siècle, les fenêtres des habitations étaient construites en hauteur tout près du plafond. Page 55 La tribu de Juda. Page 57 Les personnages ne sont pas habillés à la mode perse parce que l’enlumineur a dessiné les costumes qu’il avait l’habitude de voir dans sa communauté d’accueil. Page 59 Le couronnement de la reine Esther, le triomphe de Mordekhaï, les messagers, la pendaison d’Aman et de ses dix fils. Page 62 Amalec est un chef de tribu qui attaqua les enfants d’Israël lors de la sortie d’Egypte, alors qu’ils étaient sans défense. Or Aman est un descendant d’Agag, roi d’Amalec. Il représente donc l’ennemi type de tous les Juifs. Page 65 Le jeune travailleur placé entre le Juif du ghetto et l’Arabe les entoure d’une large main protectrice. Il est moins caricaturé que ses deux compagnons. 74 Dico A Abraham Goldfaden : (1840-1908) auteur dramatique du 19e siècle considéré comme le père du théâtre yiddish. Achkénaze : terme désignant depuis le moyen âge la culture des Juifs vivant en Europe. Adar : le mois d’Adar coïncide avec février-mars. AEC : abréviation de avant l’ère commune. A’hachveroch : Assuérus roi de Perse, identifié à Xerxès Ier. Amalec : petit-fils d’Esaü dont il est dit qu’il est l’ancêtre d’Aman. Aman : premier ministre du roi Assuérus. Antioche Epiphane : (215-164) roi séleucide. Arié Loeb ben Daniel de Goray : originaire de Galicie, il s’établit en Italie au 18e siècle. Aron : arche sainte. Arthur Szyk : (1894-1951) né en Pologne, Arthur Szyk est un artiste graphique et un caricaturiste. Arvit : office du soir. Asmon : l’origine du nom n’est pas claire. On suppose que c’est le prénom du père ou du grand-père de Mattathias, ou bien le nom donné à toute une famille. Cela peut aussi être le nom du village d’Asmon situé en Judée du Sud. Asmonéen : descendant d’Asmon, famille sacerdotale qui dirigea la résistance aux Séleucides. Av : le mois d’Av coïncide avec juillet-août. B Berkovitch : (1885-1967) écrivain originaire de Biélorussie, il s’installe aux Etats-Unis où il écrit en hébreu et en yiddish. Béthulie : ville située en Judée. Bigtan : eunuque de l’empereur Assuérus. Boris Schatz : (1867-1932) il fonde en 1906 une école d’art qui deviendra, Betsalel, l’Ecole des beaux arts de Jérusalem. C Chabbat : samedi. Septième et dernier jour de la semaine. Ce jour-là, les Juifs s’abstiennent de travailler. Chamach : neuvième godet dont la flamme sert à allumer les huit autres bougies de la ‘Hanoukkia. 75 Dico Chamaï : (50 AEC – 30AC) Chamaï, appelé le Av Beit Din fut président du sanhédrin. Chamaï : Chamaï fut président du sanhédrin. Il était appelé le « Av Beit Din ». Chavouot : semaines. C’est la fête qui célèbre le don de la Torah. Chekel : monnaie utilisée à l’époque de la Bible. Chevat : le mois de Chevat coïncide avec janvier – février. Choul’han Aroukh : codification de la « Halakha », loi religieuse rédigée par Joseph Caro à Safed au 16e siècle. Cohen : prêtre issu de la tribu de Levi. D Deutéronome : Devarim, cinquième livre du Pentateuque. Diaspora : dispersion d’un peuple à travers le monde. Dîme : la Torah cite trois dîmes sur tous les fruits d’Erets Israël. La première, appelée « Térouma », est donnée au Cohen; la seconde appelée « Maasser Richon » est donnée à un Levi et la troisième est donnée aux pauvres. 76 Doura Europos : ville de Syrie découverte par des soldats anglais en 1920. En 1932 est mise à jour la synagogue de Doura Europos. Ducs d’Este : la famille des ducs d’Este régne sur Ferrare de 1240 à 1597. Ils sont chassés de Ferrare par le pape Clément VII. A leur départ la partie de la communauté qui leur est le plus attachée les suit. E Ecole de Palekh : école de peinture, de miniature sur laque, située à une centaine de kilomètres de Moscou. Erets Israël : terre, pays ou Etat d’Israël. Esaü : frère de Jacob et fils aîné d’Isaac. Esther : deuxième épouse du roi A’hachveroch. Exil de Babylone : déportation des juifs du royaume de Juda sous Nabuchodonosor II roi de Babylone en 586 AEC. Il prend fin avec la prise de Babylone par les Perses. L’empereur Cyrus II libère les Juifs et leur permet, en 538 AEC, de retourner dans leur pays, devenu une province perse de Judée, et d’y reconstruire le Temple de Jérusalem. Exode : Chemot. Deuxième livre du Pentateuque. F Fête de la Dédicace : ‘Hanoukka. Fête des Lumières : ‘Hanoukka. Flavius Josèphe : (37-100) historien lié à la monarchie des Asmonéens par sa mère. Il a écrit La Guerre des Juifs contre les Romains (75-79). Franz Stephan : orfèvre viennois du 19e siècle. G Galilée : région du Nord d’Israël. H Haftara : passage du livre des Prophètes lu le Chabbat après la lecture de la Torah. Halakha : partie juridique du Talmud. ‘Hanoukka : fête célébrée le 25 Kislev (novembre-décembre) qui commémore la victoire de Juda Maccabée sur le roi syrien Antioche Epiphane. ‘Hanoukkia (plu. – ‘Hanoukkiot) : lampe de ‘Hanoukka. Haskala : mouvement juif des 18e et 19e siècles qui préconise la modernisation du judaïsme. Ha-Tsarfati, Joseph : scribe-enlumineur qui vécut au moyen âge en Espagne. Henry Bernstein : (1876-1953) écrivain et dramaturge français. Hillel : Hillel était Nassi c’est-à-dire président du Sanhédrin. C’était un sage venu de Babylonie. Hitler : (1889-1945) dictateur allemand responsable de la mort de millions de Juifs. Hochana Rabba : dernier des sept jours de Souccot. Holopherne : (VIe siècle AEC) général assyrien, sous Nabuchodonosor II, assassiné dans son sommeil par Judith. I Isaac Louria : (1534-1572) rabbin et kabbaliste du 16e siècle considéré comme le fondateur de l’école kabbalistique de Safed. Isaac Nahum Levi : éditeur à Jérusalem au 19e siècle. 77 Dico J Jacob : fils d’Isaac et de Rebecca, père de garçons qui donneront leur nom aux douze tribus d’Israël. Jacob : fils d’Isaac et de Rebecca, père de douze enfants qui donneront leur nom aux douze tribus d’Israël. Joseph Gal-Ezer : (1890-1945) originaire de Vienne, il monte en 1921 la première compagnie de films à sujets bibliques en Erets Israël. Josippon : (livre de Josippon) histoire des Juifs, de la chute de Babylone à la destruction du Temple de Jérusalem, rédigée par un auteur anonyme d’Italie du Sud en 953. Juda Maccabée : fils de Mattathias. Il règne sur la Judée de 166 à 160 AEC. Judée : région située entre la mer Morte et la Méditerranée. Judith : héroïne juive qui, pour sauver la ville de Béthulie, séduit le général ennemi assyrien Holopherne et lui tranche la tête durant son sommeil. K Keren Kayemet le Israël (KKL) : Fonds National Juif créé en 1901 par Théodore Herzl. Keter Torah : couronne de la Torah. Kippour : jour de jeûne, appelé aussi jour du Grand Pardon. Kislev : le mois de Kislev coïncide avec novembre-décembre. L Lag ba-Omer : 33e jour de l’Omer. Léon Bakst : (1866-1924) peintre, décorateur et costumier de théâtre. Levi : les lévi n’étaient pas prêtres mais avaient pour fonction d’assister les cohen dans l’entretien du Temple. Lion Antokolski : (1872-1942) artiste lituanien. Lithographie : procédé d’impression d’un dessin tracé sur une pierre calcaire. 78 Livre des coutumes : Sefer ha-Minhaguim. Livre contenant les horaires de prières, la manière de prier, les habitudes alimentaires, le déroulement et la signification des principaux évènements de la vie. Le livre des coutumes permet aux fidèles de perpétuer les traditions. Ludwig Nast : orfèvre du 19e siècle en Pologne. M Maccabée : surnom de Juda Maccabée, qui fut attribué par extension à ses 4 frères : Jean, Simon, Eléazar et Jonathan qui combattirent contre Antioche IV. Maguen David : bouclier de David, par extension, étoile de David. Manuscrit de Rothschild : de 1832 à 1855, il fait partie de la collection de Salomon Parente à Trieste. La famille Rothschild l’acquiert plus tardivement. Il est volé sous l’occupation nazie et réapparaît après la guerre à New-York. Il est restitué à James de Rothschild qui en fait don au Musée d’Israël en 1957. Mardochée : (voir Mordekhaï). Mascaron : un masque fantastique décorant habitations ou objets. Massorète : ensemble de règles et d’annotations permettant la transmission correcte de l’orthographe biblique. Mattathias : chef d’une famille sacerdotale. Il engage la lutte armée contre l’oppresseur et les Juifs hellénisés. Mattathias Antigone : dernier souverain de la dynastie Asmonéenne. Méguilat Esther : Rouleau d’Esther, (pluriel : Méguilot). La Méguilat Esther relate comment, à l’époque du roi Assuérus, la reine Esther aidée de son oncle Mardochée déjoua les plans du premier ministre Aman qui voulait la destruction de tous les Juifs du royaume. Ménorah : nom du candélabre à sept branches dont le prototype fut confectionné pour le Tabernacle du désert. Michna : du verbe lechanen : répéter, signifie au sens propre apprendre par cœur une tradition orale. La Michna désigne l’ensemble des traditions religieuses developpées jusqu’en l’an 200. 79 Dico Michloa’h Manot : échange de nourriture entre connaissances, voisins ou amis. Midrach : commentaire rabbinique de la Bible qui revêt différents genres littéraires comme un récit, une parabole ou une légende. Min’ha : office de l’après-midi. Moché ben Abraham Pescarol : (17e siècle) scribe enlumineur qui vécut en Italie, dans le Piémont. Moché chah Mizra’hi : artiste originaire de Téhéran qui arrive en Erets Israël, à Jérusalem en 1880, où il travaille en tant que scribe enlumineur. Moïse ben Yekoutiel ha-Cohen : commanditaire du manuscrit, écrit et enluminé au 15e siècle en Italie du Nord, appelé le Manuscrit de Rothschild. Monsohn : (1871-1930) Abraham Leib Monsohn étudie la lithographie à Frankfort. Il revient en Erets Israël en 1892 et ouvre avec son frère la première imprimerie en couleur à Jérusalem. Mordekhaï (Mardochée) : fils de Yaïr de la tribu de Benjamin ; c’est lui qui élève Esther jusqu’à ce qu’elle entre au harem du roi Assuérus. 80 Moritz Oppenheim : (1800-1882) originaire de Hanau, il est appelé le premier peintre juif. Il étudie l’art à l’académie de Munich, à Paris et à Rome, puis il revient à Francfort où il termine sa vie. Mur occidental : connu sous le nom de Mur des Lamentations ou de Kotel. Le Mur occidental date de la construction du Temple d’Hérode et est un mur de soutènement de l’esplanade du Temple. N Nabuchodonosor : roi de Babylone. Il détruit Jérusalem et le Temple et déporte la population à Babylone. Ne’hoshet : cuivre. Nissan : le mois de Nissan coïncide avec mars-avril. O Ora’h ‘Haïm : nom donné à une section du Choul’han Aroukh qui traite des lois journalières de la vie juive, des bénédictions, du chabbat, des fêtes et des jeûnes. P Panoplie : ensemble d’armes présenté sur un panneau. Pessa’h : pâque. Fête commémorant la sortie d’Egypte et le passage des Hébreux de l’état d’esclavage à la liberté. Pourim : Sorts. La fête de Pourim a lieu le 14 et le 15 Adar. Elle commémore la victoire des Juifs sur leurs ennemis. Pri Ets Hadar : le fruit de l’arbre majestueux. Ce livre, écrit par un auteur anonyme, apparaît à Venise en 1728 sous forme de pamphlet. R Rabbi Akiva : (50-135) un des plus célèbres maître de la Michna. Rav Mordekhaï ben Hillel : (1250-1298) originaire d’Allemagne, il est l’élève de Meïr ben Baroukh de Rothenburg au 13e siècle. Roch ha-Chana : Nouvel An juif. S Sanhédrin : constitué de 71 anciens, le Sanhédrin était la haute cour de justice d’Erets Israël. Salomon : 3e roi d’Israël. Fils du roi David, il construit le Temple de Jérusalem. Schtetl : bourgade ou quartier juif de l’Europe de l’Est avant la seconde guerre mondiale. Scribe-enlumineur : personne qui écrit et décore un manuscrit. Sefer Torah : copie manuscrite de la Torah sous forme d’un rouleau. Séfarade : Juif originaire d’Espagne ou du Portugal. Expulsés de leur pays ils se répartissent sur le pourtour du bassin méditerranéen. Sépia : couleur brune extraite de la seiche. Sevivon : toupie. Sim’hat Torah : joie de la Torah. Jour où l’on achève la lecture du Pentateuque. Souccot : fête qui rappelle les 40 ans d’errance dans le désert avant le retour en Erets Israël. Suse : ville située dans l’actuel Iran du Sud. L’histoire d’Esther s’y déroule. T Talith : châle de prière rectangulaire à franges. Taanit Esther : jeûne d’Esther. 81 Dico Talmud : ensemble des lois et traditions juives accumulées pendant sept siècles : depuis 200 AEC jusqu’à l’an 500. Temple de Jérusalem : construit par le roi Salomon sur le Mont Moriah, il est détruit par Nabuchodonosor II en 586 AEC. Il est reconstruit par les Juifs qui reviennent de captivité de Babylonie en 538 AEC. Le roi Hérode le remanie et l’agrandit en l’an 19 AEC. Titus le détruit en l’an 70. Terech : eunuque de l’empereur Assuérus. Terre glaise : argile. Ticha be-Av : 9e jour du mois d’Av. Jour de jeûne qui commémore la destruction du Premier Temple en 586 AEC et du Second Temple en l’an 70. Tichri : le mois de Tichri coïncide avec septembre-octobre. Torah : Enseignement. Regroupe les cinq livres : la Genèse, l’Exode, le Lévitique, les Nombres et le Deutéronome. Tou be-Av : le 15e jour du mois d’Av. Tou bi-Chevat : nouvel an des arbres dans le calendrier agricole. 82 X Xerxès : roi qui régne, de 485 à 465 AEC, en Perse. Y Yaacov Sofer : scribe enlumineur qui travaille la micrographie à Tibériade au 19e siècle. Yessod ha-Maala : village situé dans la vallée de ‘Houla. Il a été construit en 1881 par les membres de la première Aliya. Yiddish : langue parlée dans les communautés achkénazes. Yom ha-Atsmaout : jour de l’indépendance de l’Etat d’Israël. Yom ha-Choah : jour du souvenir de l’Holocauste. Yom ha-Zikaron : jour du souvenir des victimes de guerre. Z Zacharie : prophète qui prononça sa première prophétie durant le règne de Darius 1er et incita le peuple à la reconstruction du Temple. Zeus : roi des dieux dans la mythologie grecque. Crédits photographiques Couverture © Editions ADCJ, Le Voyage de Betsalel. Page 8-9 : © Editions ADCJ, Le Voyage de Betsalel. Page 10 : © Collection Famille Gross. Page 12 : © Collection Famille Gross. Page : 13: © Photo Musée d’Israël. Page 15 : © Musée d’Israël © Photo Musée d’Israël, Jérusalem, David Harris. Page 16 : © Musée d’Israël © Photo Musée d’Israël Page 17 : © Bibliothèque nationale du Portugal. Page 17 : © Collection Famille Gross.

Le Baptême

Le Baptême Une pièce d’Alfred Savoir et Fernand Nozière Présentation de Michèle Fingher A la redécouverte du théâtre juif Le Baptême Une pièce d’Alfred Savoir et Fernand Nozière A Monsieur Lugné-Poe A la redécouverte du théâtre juif Nous remercions pour leur soutien à la publication de cet ouvrage : La Fondation du Judaïsme Français La Fondation pour la Mémoire de la Shoah Le Fonds Social Juif Unifié Nous remercions pour leurs contributions, remarques et conseils : Yehuda Moraly, Nathalie Serfaty, Isabelle Cohen, Daniel Elalouf, Déborah Elalouf, Gilles Elalouf, Richard Sitbon, Aline Schapira, Colette Goldberg, Edith Sidi, Florence Soulam, Maurice Fingher. © Editions ADCJ – Le Voyage de Betsalel, 2018 ISBN : 978-965-91970-6-4 Auteurs : Alfred Savoir et Fernand Nozière Introduction : Michèle Fingher Tous droits de traduction, reproduction ou représentation intégrale ou partielle réservés pour tous pays. Editions ADCJ, 56 rue Hallé, Paris, 75014, France. contact@adcj.org Alfred Savoir, 1931 Le Baptême Alfred Savoir et Fernand Nozière En 1907, juste après la réhabilitation d’Alfred Dreyfus, deux ans après le vote de la loi instaurant la séparation de l’Eglise et de l’Etat et un an après la suppression de la censure préalable au théâtre, deux auteurs juifs, Alfred Savoir (1883-1934) et Fernand Nozière (1874- 1931), font jouer une pièce où, décidément, personne n’est épargné. Les Juifs sont représentés par les membres d’une riche famille juive qui sont prêts à tout pour se faire accepter par la bonne société et ne trouvent rien de mieux pour cela que de se faire baptiser. Le clergé y est symbolisé par un archevêque fort occupé à assurer son élection à l’Académie et à organiser ses prochaines vacances. Quant à l’aristocratie, c’est dans la pièce un noble ruiné devenu vendeur de voitures et chasseur de dot ! Mais si la pièce se veut légère, elle pose des questions qui nous concernent encore aujourd’hui, celles de l’identité juive dans une société où l’on est facilement tenté par l’assimilation. Le judaïsme est-il une religion ? N’est-il que cela ? Le judaïsme se réduit-il à un ensemble de comportements dictés par une expérience historique commune ? N’est-on juif qu’à travers le regard des autres, des non-Juifs ? Renoncer au judaïsme permet-il de se faire accepter par les non-juifs ? Un Juif ayant accepté le baptême reste-t-il un Juif ? On connaît le mot du général De Gaulle, catholique pratiquant, qui avait dix-sept ans quand fut jouée la pièce. Apprenant qu’un de ses Compagnons s’était converti (par conviction, d’ailleurs), il déclara : « Cela fait un catholique de plus mais cela ne fait pas un Juif de moins ! » La conversion, vue par le Général, ne gommerait donc pas la judéité. On « resterait » juif même après s’être converti. Qu’en était-il il y a un siècle et qu’en est-il aujourd’hui ? Le contexte historique Depuis les années quatre-vingts du 19ème siècle et leurs scandales politico-financiers, après la publication de La France juive de Drumont, les antisémites tenaient le haut du pavé, surtout à droite et chez les catholiques. L’Affaire, qui avait éclaté dans cette ambiance délétère, n’avait fait qu’aggraver les choses et les Juifs, pour la plupart, adoptaient un profil bas, surtout quand ils étaient fortunés. On attaquait les synagogues, certains cafés et restaurants leur interdisaient l’entrée. Des rixes éclataient. La police intervenait, certes, mais il arrivait qu’elle ignore les fauteurs de troubles et conduise au poste les Juifs insultés. Rares étaient les rabbins, nommés et rémunérés par l’Etat (jusqu’à la loi de séparation), qui osaient réagir publiquement. Le Grand Rabbin Zadoc Kahn était l’exception. Lorsqu’Alfred Dreyfus est gracié puis réhabilité, les Juifs français qui, ces dernières années, s’étaient sentis rejetés par la France, reprennent confiance. Délivrés de ce cauchemar, soulagés et reconnaissants, ils ne songent qu’à s’assimiler. Au théâtre, la suppression de la censure préliminaire (1906) donne aux dramaturges juifs l’occasion d’évoquer des thèmes qu’on évitait jusqu’alors. Dans Le Baptême, Savoir et Nozière font rire aux dépens de l’Eglise, de l’aristocratie mais surtout de ces Juifs qui croient pouvoir acheter leur admission dans la bonne société en consentant au baptême. Les auteurs Plus personne ne se souvient aujourd’hui d’Alfred Savoir (né Alfred Poznanski et originaire de Lodz en Pologne), ni de Fernand Nozière (né Fernand Weyl). Ce dernier a pourtant été un auteur extrêmement prolifique. Critique de théâtre, auteur de plusieurs livres, il a, en 1924, sept ans avant sa mort, une cinquantaine de pièces à son actif. Alfred Savoir, quant à lui, est venu étudier le droit en France et signe sa première pièce à vingt-trois ans, Le Troisième couvert, jouée au Théâtre de l’Œuvre. C’est un échec. Sifflets et hurlements interrompent la représentation. La première collaboration théâtrale entre les deux auteurs se fait autour du Baptême où le personnage de monsieur Bloch est interprété par Lugné-Poe. La pièce ne tient que sept représentations suite à l’intervention d’un Juif influent, non pas parce que la pièce était antisémite, mais parce qu’elle pouvait choquer un public non-juif. Cette collaboration se poursuit par une adaptation d’un roman de Tolstoï, La Sonate à Kreutzer, jouée à nouveau par Lugné-Poe. Cette fois, la pièce remporte un grand succès. La pièce S’assimiler – et comment ? – ou ne pas s’assimiler, voilà la question. L’assimilation a toujours été une préoccupation essentielle chez les Juifs de Diaspora. De tous temps, les Juifs ont dû choisir entre rester à l’écart du reste de la population ou bien s’intégrer à la société ambiante en renonçant à leur judéité. L’assimilation est donc, par définition, un abandon volontaire de l’identité juive, de la pratique religieuse, naturellement, mais aussi de tous les comportements considérés comme « juifs » par les antisémites, comme l’âpreté au gain et la volonté féroce de s’élever socialement. Jusqu’au début du 20ème siècle, le marqueur proprement religieux était socialement très significatif : si l’on souhaitait s’assimiler, il fallait commencer par se convertir formellement. En fait, si la conversion était « nécessaire », elle devait être confirmée, sauf exception, par le passage du temps, par le mariage avec des non-juifs, par le changement de nom et par l’adoption d’une profession « non juive ». Le processus devait donc s’étaler sur deux ou trois générations. Dans Le Baptême, les Bloch sont manifestement trop pressés et leur conversion sera globalement un échec. La seule conversion immédiatement reconnue – par les Bloch eux-mêmes, par l’évêque et l’aristocrate, représentant la société dans son ensemble… tout comme par les auteurs eux-mêmes – est celle d’Hélène, la fille de la famille, du fait de son évidente sincérité, même si cette sincérité était absente initialement. Depuis un siècle, la conversion est sans doute bien moins indispensable à qui veut s’assimiler, la société environnante n’attachant guère qu’une importance symbolique à l’appartenance à une église. Le mariage, la rupture sociale accompagnant souvent la mobilité géographique ou professionnelle suffisent en général et sont immédiatement « enregistrés ». Qu’en pensent Savoir et Nozière ? Et d’abord, selon Bloch, qu’est-ce qu’être juif ? Il suffit de l’écouter. A la fin de chaque acte, il se livre en quelques courtes scènes : le ton de la comédie disparaît. Bloch : Hélas ! De père en fils, éternellement nous éprouvons le même malaise. Etre juif, mon enfant, je vois bien maintenant ce que c’est. Lucien : C’est une religion ? Bloch : Non ! Lucien : C’est une race ? Bloch : Non, mon petit Lucien, c’est un malheur, un grand malheur. Pour Bloch, les Juifs sont les victimes « éternelles » des antisémites et des préjugés hostiles : là se trouve la cause du « malheur » des Juifs. Se pourrait-il que les Juifs en soient en partie responsables par leur refus de s’assimiler ? Ou du moins, comment faire pour échapper à la malédiction ? La question n’est pas explicitement posée mais on la lit en filigrane. A l’acte II, quand Bloch annonce à Lucien que toute la famille se convertit, Lucien proteste : Lucien : Est-ce que [le baptême] me redressera le nez ? Et mes jambes qui sont arquées… Et mes oreilles […] Je suis laid… abominablement… si laid que je voudrais me cacher, disparaître […] La laideur des autres, c’est un accident : les passants la déplorent ; la laideur juive, c’est une malédiction, on en rit. Cette soi-disant laideur se retrouve dans le théâtre juif contemporain de la pièce, dans Le Nouveau ghetto (1894) de Herzl, comme dans celle de Bernstein – Israël (1908). Elle reste d’actualité : dans certains de ses sketches, Gad Elmaleh fait rire à ses propres dépens en se comparant au « grand blond » à l’aise dans la piscine ou sur des skis. Les Juifs intériorisent si bien l’antisémitisme qu’ils se voient à travers le regard non des autres en général, mais des antisémites en particulier. C’est ce que Madame Amadeo-Valensi, professeur à l’université Bar-Ilan en Israël, a brillamment souligné : « Les Juifs considèrent comme objective la subjectivité des antisémites ». Cette attitude victimaire doublée de haine de soi débouche sur une « solution » : celle de la conversion, solution qui n’est envisagée par les Bloch que comme un moyen pratique d’échapper à leur condition. Elle ne coûte d’ailleurs pas si cher, à leurs yeux, puisqu’ils resteront juifs en un autre sens. Leur énergie et leur sens des affaires pourront beaucoup plus facilement trouver à s’employer, pensent-ils, puisqu’ils auront fait disparaître l’obstacle qui les empêchait de s’épanouir. Pourquoi ne deviendraient-ils pas les banquiers de l’Eglise ? De même, une fois baptisé, André Bloch, défini jusqu’alors comme un « gringalet », prend la vie à bras le corps. Lui qui haïssait les affaires va entrer dans celles de son père. Celui-ci le serre contre lui et lui dit, dans un élan qu’on retrouve dans l’Israël d’Henry Bernstein, lorsque Gutlieb s’adresse à son antisémite de fils qui ignore tout de son ascendance juive : Bloch : Tu parles de la conquête avec une ardeur, avec un enthousiasme qui sont bien de notre race. Ne t’en défends pas, mon fils (serrant André contre son cœur), tu es juif, tu l’es tout à fait depuis que tu as reçu le baptême. (Le Baptême) Gutlieb : …J’affirme qu’un puissant instinct sémite a fait l’antisémite que voilà ! J’affirme que vous vous êtes jeté dans l’antisémitisme non par haine profonde du Juif, mais bien par une divination juive, par une ambition juive, de la cause éclatante… (Israël) Dans les deux pièces écrites à un an d’intervalle, ces marques de satisfaction à l’égard du judaïsme semblent caricaturales, l’un des personnages venant de se convertir, l’autre ignorant ses origines juives ! Là encore, Bloch et Gutlieb adoptent la même définition de la judéité que les antisémites de leur temps. On sent chez Savoir et Nozière une certaine tendresse amusée pour la naïveté de la famille Bloch : le père, la mère et le fils se croient habiles mais se font évidemment des illusions. L’évêque et de Coissy, le noble, ne cherchent qu’à les exploiter. Les Bloch s’imaginent faire une bonne affaire mais ils ne tromperont personne, on prendra leur argent, ils rendront service et, en prime, on se moquera d’eux. Leur démarche ne peut déboucher à court terme : son absence totale d’authenticité les prive de tout espoir de succès et, finalement, ce n’est que justice. L’un des personnages du Nouveau ghetto de Herzl – le docteur Bichler – fait d’ailleurs exactement le même constat. En revanche, à plus long terme, dans une ou deux générations, l’assimilation a toutes « chances » de fonctionner. Mais alors, les bénéfices escomptés du fait de leurs qualités « juives » ne seront pas au rendez-vous. Les auteurs, en revanche, admirent Hélène pour sa sincérité mais regrettent, me semble-t-il, qu’elle prenne sur elle d’entrer au couvent. La réaction de Bloch et sa résignation désespérée sont également celles des auteurs de la pièce : elle aussi tombe dans le piège que la famille s’est elle-même tendu. Elle est, de plus, l’instrument qui permet à l’évêque de lui soutirer une fortune. En fait, la solution de l’énigme se trouve dans la dernière scène où la grand-mère fait prononcer le Chéma Israël à son petit-fils. C’est elle qui, en tant qu’aïeule, est la dépositaire d’une tradition millénaire. Elle a le dernier mot : c’est une immense erreur que d’essayer de fuir sa judéité ! Tout le reste en dépend et cette judéité repose elle-même sur la fidélité à l’Alliance. Qu’en est-il aujourd’hui ? La conversion, qui semblait ouvrir la porte à l’assimilation au début du 20ème siècle, est-elle encore d’actualité ? Les Bloch, qui avaient réussi dans la banque à une époque où la vieille noblesse catholique donnait le ton, souhaitaient prendre la place à laquelle ils estimaient pouvoir prétendre : ils ont cru qu’il fallait pour cela passer par la case conversion. Ils ont également cru, bien à tort, que cela serait suffisant. Nous l’avons dit, en ce début de 21ème siècle, la conversion formelle n’est plus d’actualité et bien peu nombreux seraient ceux qui voudraient y recourir pour se faire ouvrir des portes. Risquons donc un parallèle : dans les sociétés occidentales que nous connaissons, on trouve de nombreux Juifs dans les médias ou les milieux universitaires. Sous l’influence du milieu où ils évoluent, ils sont souvent politiquement libéraux au sens anglo-saxon, ce qui se traduit par un soutien sans faille à toutes les minorités « opprimées ». Au nom de ce credo, il faut être (de préférence, violemment) antisioniste pour exister socialement dans les cercles progressistes, dans les salles de presse ou sur les campus. La tentation existe donc d’adopter des positions conformistes, de signer des articles et des pétitions, de blogger et de twitter « comme il faut ». Là encore, ceux qui résistent le plus facilement à cette tentation sont ceux qui sont religieusement les plus proches de la Tradition. En se moquant d’une conversion trop rapide et trop évidemment opportuniste, Alfred Savoir et Fernand Nozière soulèvent en fait la question de la naïveté. Monsieur Jourdain dans Le Bourgeois gentilhomme croit que des leçons de danse, de français en feront un gentilhomme tout comme les Bloch croient qu’un peu d’eau bénite va les transformer en catholiques reconnus comme tels. On ne se débarrasse pas si facilement du poids du passé et le regard de la société met longtemps à changer. L’intime conviction autant que la Foi sont les vrais moteurs de l’identité. Personnages Bloch MM. Lugné-Poe André Jehan Adès Monseigneur Lecourtois Henri Beaulieu De Coissy Paul Chevalet Lucien Félix Grouillet Cohen Raymond Aggiotti Renoir Premier invité André Mayral Deuxième invité Lamare Heller Dangré Madame Bloch Mmes Favrel Hélène Premor Mademoiselle Grenier Gasty Lillianne Madame Cohen Copernic L’aïeule Jeanne Guéret Edith Erry Gramer Berthe Hélène Dazy Caricature des personnages dans le journal La Rampe, 1925 (Un petit salon à Paris dans l’hôtel de M. Bloch. Porte au fond donnant sur une galerie. Deux portes à droite et deux portes à gauche. Le portrait équestre de M. Bloch.) Deux invités.  Scène 1  Premier invité : Un cigare ? (Il prend sur une table une boîte de cigares qu’il lui tend.) Deuxième invité : On dîne bien ici. Premier invité : Pas mal. Vous y venez souvent ? Deuxième invité : Non ! Et vous ? Premier invité : Quelquefois, aussi peu que possible. Deuxième invité : Je vous comprends. Premier invité : Je n’aime pas les Juifs. Deuxième invité : Moi non plus. Premier invité : Croyez bien que ce n’est pas un préjugé de ma part. Deuxième invité : Evidemment. Premier invité : Il y a de bons Juifs ; mais dans la société israélite, j’éprouve une certaine gêne. Deuxième invité : Un malaise, n’est-ce-pas ? Premier invité : Voilà. Deuxième invité : Je vous comprends. Premier invité : Vous ne fumez pas ? Deuxième invité : Merci. (Il prend un cigare.) Premier invité : Voici du feu. Deuxième invité : Remarquables leurs cigares ! Premier invité : Parbleu ! La vieille madame Bloch – Quel nom ! Deuxième invité : La grand-mère ? Premier invité : Oui, la grand-mère ! Elle les passe en contrebande sous sa jupe. Deuxième invité (déposant son cigare) : Je ne fume plus. Premier invité : Il y a la boîte. Deuxième invité (reprenant son cigare) : Une femme qui possède des millions. Premier invité : C’est son fils qui a de l’argent. Deuxième invité : Dites-moi, cher monsieur, qui est exactement monsieur Bloch ? Premier invité : Notre amphitryon ? Deuxième invité : Vous connaissez l’origine de sa fortune ? Premier invité (évasivement) : Il est intelligent. Deuxième invité : Vous me faites peur. Il n’a jamais eu de démêlés avec la justice, n’est-ce pas ? Premier invité : Il n’y a rien à dire sur ses mœurs. Deuxième invité : Il est vertueux, mais il est honnête ? Premier invité : Il est arrivé à Paris, il y a trente ans, en sabots. Deuxième invité : Comme tout le monde, d’où venait-il ? Premier invité : De Francfort. Deuxième invité : Lui aussi. Il n’avait absolument rien ? Premier invité : Une maladie de foie et des jambes légèrement cagneuses. Deuxième invité : C’est peu. Premier invité : On réussit très bien avec ces avantages. Il a trouvé de l’argent ; il a monté une maison de modes ; ses affaires furent si florissantes qu’il devint négociant en pierres fines, ce qui l’amena à créer une banque… Et voilà ! Deuxième invité : Il est intelligent. Premier invité : Mais oui ! Deuxième invité : Un peu ridicule ? Un peu snob ? Premier invité : Moins que sa femme et ses enfants ! Deuxième invité : Elle publie des livres, madame Bloch ? Premier invité : Comme une duchesse. Elle les signe. Elle tient à recevoir à sa table des gens de lettres. D’ailleurs elle est la cousine de l’Académicien Blumenthal. Deuxième invité : Elle a une influence sur les élections académiques ? Premier invité : Elle laisse croire qu’elle dispose d’une voix ! Deuxième invité : Le fils aîné – ce gringalet – fait de l’escrime et du football. Premier invité : Mais oui. Il a des partenaires très élégants. Deuxième invité : Et la fille – la belle Hélène – du spiritisme. Premier invité : Elle veut aussi avoir de belles relations. L’autre jour elle a eu une longue conversation avec Saint-François-d’Assise. Deuxième invité : Mâtin ! C’est en effet une belle relation. Premier invité : De tout premier ordre. Deuxième invité : Elle connaît des morts chics, mais les vivants qui viennent ici… (Il fait un geste.) Premier invité : Des Juifs ! Deuxième invité : Il y a pourtant quelques chrétiens ! Premier invité : Oui, d’abord un protestant, le pasteur Wurtz. Deuxième invité : Sans dire un mot, par sa seule présence, il offre à tous la bonne parole. Premier invité : Il y a aussi le comte de Coissy. Deuxième invité : Sa famille est de l’Anjou ? Premier invité : Je crois. Deuxième invité : Que vient-il faire ici ? Premier invité : Et nous ? Deuxième invité : Le comte de Coissy ! Grand nom ! Premier invité : Et mauvais renom. Il n’a plus le sou ! Deuxième invité : Merci. Je me tiendrai sur mes gardes. J’ai bien envie de m’en aller. Premier invité : Vous ne voulez pas entendre madame Dujardin ? Deuxième invité : La contralto de l’Opéra qui semble chanter dans un verre de lampe ? – Ah merci ! Premier invité : Nous aurons aussi mademoiselle Grenier de la Comédie-Française. Deuxième invité : La toujours jeune ? Premier invité : Et puis nous aurons l’évêque Lecourtois. Deuxième invité : Vous plaisantez ? Premier invité : Il brigue un fauteuil à l’Académie. Les voix de la droite lui sont acquises ; mais celle de Blumenthal ne lui serait pas inutile. Deuxième invité : Et c’est pour obtenir cette voix qu’il vient chez les Bloch ? Premier invité : Il faut bien faire preuve de libéralisme. Deuxième invité : Un évêque dans cette maison, j’en suis révolté ! Premier invité : Et moi donc ! Deuxième invité : Laissez-moi vous dire que j’ai grand plaisir à causer avec vous. Premier invité : Nous avons en effet les mêmes idées, les mêmes goûts. Deuxième invité : Et nous ne nous connaissons même pas. Il y avait une telle foule à ce dîner. Je n’ai pas eu le plaisir de vous être présenté. Premier invité (sortant sa carte) : Je m’appelle Géo Dreyfus. Deuxième invité (idem) : Et moi Charley Lévy. Premier invité : Charley Lévy ; mais je crois que nous sommes parents. Deuxième invité : Comment ? Premier invité : Par la vieille madame Bloch. Vous êtes son petit cousin par son mari. Deuxième invité : Il est vrai. Premier invité : Et moi je suis le petit cousin par sa sœur. Deuxième invité : Mademoiselle Cohen qui avait épousé Aggiotti de la maison Finkelberg ? Premier invité : Oui. Deuxième invité : Mais je suis allié aux Aggiotti par les Aaron. Premier invité : Alors nous sommes deux fois cousins. Deuxième invité : Mais jamais je vous aurais pris pour un israélite. Premier invité : Vous me flattez. Deuxième invité : Vous n’avez pas le type. Premier invité : Peut-être le front ! Deuxième invité : Vous n’êtes pas à la Bourse ? Premier invité : Si ! Si ! Mais à l’autre Bourse. Deuxième invité : Blé ? Premier invité : Sucre ! Deuxième invité : Alors, Géo, dites-moi ce que vous pensez des derniers cours. Vous croyez à la hausse ? Premier invité : Et bien ! Mon cher Charley… (Ils sortent ensemble.)  Scène 2  Heller, Lucien, puis M. et Mme Cohen. Sur les dernières répliques entrent Heller et Lucien. Heller : Eh bien, mon canard, tu ne fumes pas encore ? Lucien : Non, monsieur, mais voici des cigares et des cigarettes. Heller : Merci. (Ils s’assoient au fond.) Cohen (entrant avec Mme Cohen) : On s’en va ? Mme Cohen : Tu es fatigué ? Cohen : Il est dix heures. Mme Cohen : Eh bien ? Cohen : Nous voulions rentrer de bonne heure. Mme Cohen : Tu dors si mal. La nuit dernière, tu n’as pas fermé l’œil. Cohen : Précisément. Mme Cohen : Ah ! Tes intestins ! Cohen : Tu t’amuses ici ? Mme Cohen : Je veux voir l’évêque. Cohen : Tu as à lui parler, Esther ? Mme Cohen : Comme c’est intelligent ! Cohen : Un évêque, tu sais, ce n’est qu’un curé. Mme Cohen : Tu peux rire ; ce n’est pas toi qui amènerais chez nous un prélat. Cohen : Pourquoi faire ? Mme Cohen : C’est flatteur, tu le sais bien. Après- demain, on lira dans les journaux mondains que M. et Mme Bloch ont reçu en leur hôtel des Champs- Elysées l’évêque Lecourtois. Cohen : Vingt-cinq francs la ligne. Mme Cohen : C’est possible. Mais encore faut-il que l’évêque soit venu. Cohen : Il ne viendra peut-être pas. Mme Cohen : Raison de plus pour attendre. Cohen : C’est vrai. Mme Cohen : Ah ! Tu devrais bien savoir comment M. Bloch est entré en relations avec un évêque. Cohen : Comment veux-tu que je fasse ? Mme Cohen : Tu n’as qu’à le flatter… « Quel honneur pour vous et pour les vôtres ! Ce devait être bien difficile ! » Cohen : Et alors ? Mme Cohen : Alors il s’écriera : « Difficile, pas du tout. J’ai fait agir celui-ci et celui-là qui ne peuvent rien me refuser ! » Cohen : Oui ! Oui ! Mme Cohen : Ce ne sera sans doute pas exact. Il ne nous restera plus qu’à démêler la vérité du mensonge. Cohen : Comme c’est simple ! J’y renonce. Mme Cohen : Ah ! Mon pauvre David ! Tu n’as pas d’ambition. Si tu avais eu un peu plus d’énergie et de diplomatie, tout Paris s’écraserait dans nos salons. Cohen : C’est à la femme qu’il appartient de se créer des relations. Vois madame Bloch. Elle invite les gens, elle les attire, elle les racole. Elle a du tact. Elle sait recevoir. Avec notre double nom Cohen- Sulzbacher, ce n’est pas un évêque qui devrait venir chez nous, c’est un archevêque, c’est un cardinal. Mme Cohen : Pourquoi pas le Saint-Père ? Cohen : Pourquoi pas ? Mme Cohen : Tu es fou. Mais sache le bien, madame Bloch n’a rien fait. C’est M. Bloch. Cohen : C’est madame Bloch. Mme Cohen : C’est lui ! Cohen : C’est elle. (Ils s’aperçoivent qu’ils parlent haut.) Chut ! chut !… M. et Mme Cohen sortent. Heller : Canard ? Lucien : Monsieur ? Heller : Qui sont ces agités ? Lucien : C’est M. et Mme Cohen-Sulzbacher. Heller : Ils sont fâchés ? Lucien : Ils sont toujours ainsi. Il y a chez nous beaucoup de gens qui crient. Heller : Canard ? Lucien : Monsieur. Heller : Tu es philosophe ? Lucien : A mes heures. Heller : Il n’est pas l’heure de te coucher ? Lucien : Maman m’a dit d’attendre que l’évêque soit venu. Si par hasard il voulait me bénir ! C’est ridicule ! Heller : Canard, si toi qui es un israélite, tu ne respectes pas un évêque, que respecteras tu ? Lucien : Vous vous moquez de moi ! Heller : Non, mon petit canard. Lucien : Pourquoi m’appelez-vous ainsi ? Heller : C’est un terme d’amitié. Lucien : Pourtant vous me connaissez depuis un mois seulement. Heller : Chez les Schwartz, j’ai trouvé de l’agrément dans ta conversation. Lucien : Pourquoi me parlez-vous toujours ? Etes-vous timide ? Heller : Mais non ! Lucien : Il ne faut pas parler trop longtemps. Heller : Pourquoi ? Lucien : Maman croirait que vous êtes timide et elle ne vous inviterait plus. Heller : Pourquoi m’a-t-elle invité à cette soirée ? Lucien : Elle a lu votre article dans La Revue Ecarlate ; vous êtes sorti de l’Ecole Normale. Heller : Mais il y a bien d’autres israélites qui sont sortis de l’Ecole Normale et qui écrivent dans La Revue Ecarlate. Lucien : Elle les invite tous. Heller : Ils t’amusent. Lucien : J’aime les gens qui travaillent. Heller : Tu dois adorer ton papa. Lucien : Oui. Heller : Tu me présenteras à lui ; quand je suis arrivé, il y avait une foule qui l’entourait, je n’ai pu me glisser jusqu’à lui, ni même l’apercevoir. Lucien : Vous ne le connaissez pas ? Heller : Je ne l’ai jamais vu. (Silence) Lucien : Monsieur ? Heller : Eh bien ? Lucien : Avouez que si vous m’appelez canard, c’est parce que je marche… drôlement. Heller : Non. Lucien : Maman dit que les israélites ont une démarche bizarre. Ainsi moi, je le sais bien, je marche comme un canard. (Il marche.) Papa aussi…  Scène 3  Les mêmes, Bloch. A ce moment Bloch s’approche. Il marche effectivement comme un canard. Heller : Monsieur Bloch ? Bloch : Monsieur ? Lucien : Papa ! Bloch : Eh bien ? Lucien : Papa, je te présente mon ami, mon grand ami, M. Charles Heller. Bloch : Vous êtes parent du coulissier ? Heller : C’est mon cousin. Bloch : Excellente maison ! Vous n’en faites pas partie ? Heller : Non, monsieur. Lucien : Oh ! Mais papa ! M. Heller est sorti de l’Ecole Normale. Bloch : Je vous demande pardon, monsieur. Heller : Mais, monsieur, mon père était remisier. Bloch : Ah ! Vous êtes le fils du petit Heller que nous aimions tous à la Bourse. Heller : Tous les soirs en effet, son chapeau était défoncé. Bloch : Nous le taquinions ; mais il recevait des ordres ; c’était un malin. Je l’aimais beaucoup. Il a dû être fier d’avoir un fils intelligent, qui a des diplômes. Heller : Vous êtes trop aimable ; mais vous avez un enfant charmant. Bloch : Vous le trouvez gentil ? Heller : C’est un petit bonhomme remarquable. Bloch (caressant Lucien) : Surtout, il a du cœur, c’est l’essentiel. Lucien : Papa ! Heller : C’est votre préféré ? Bloch : J’aime également tous mes enfants, André, Hélène… Mais celui-ci c’est autre chose. C’est ma joie… Heller : Vraiment ? Bloch : Croyez-vous qu’il ne m’a jamais rien demandé ! Un bon garçon, un brave enfant. Heller : Il vous ressemble. Bloch : Tout le monde le dit. Heller : Je vous vois pour la première fois et j’en suis frappé. Bloch : Vous me voyez pour la première fois ?… Vous ne m’aviez jamais rencontré à l’Opéra, aux répétitions générales, aux courses ? Heller : En sortant de l’Ecole Normale, j’ai professé pendant deux années en province. Je n’ai un poste à Paris que depuis six mois et je sors peu. Bloch : Comment donc m’avez-vous reconnu tout à l’heure ? Heller : Grâce à votre portrait. Bloch : Il est bon, n’est-ce-pas ? Heller : C’est une toile remarquable. Bloch : Le cheval surtout est vivant. Heller : Admirable… Vous aimez les chevaux ? Vous montez souvent ? Lucien : Papa ! Bloch : Jamais cher monsieur. C’est ma femme et mon fils André qui ont désiré ce portrait équestre. Ils trouvaient même que le cheval n’était pas assez fougueux. J’ai cédé parce que ça n’a pas d’importance. Pourvu qu’on me laisse travailler en paix… Heller : Certainement. Bloch : L’hôtel, les réceptions, c’est à eux ; je les leur abandonne. Mais ils n’entrent pas, ils n’en ont guère envie, dans les bureaux de la rue du 4-Septembre. Là, je suis chez moi. Je ne prends conseil de personne. Là, je vis, je m’amuse, je travaille… Aussi que m’importent ces détails mondains ? On veut mon portrait équestre ? Soit ! Mais si on me demande : « Vous montez à cheval, M. Bloch ? » Je réponds carrément : « Non ! » Vous comprenez monsieur Heller ? Heller : Oui ! Oui ! Bloch : D’ailleurs, je ne suis pas aussi franc avec tout le monde. Heller : Je suis flatté ! Bloch : Vous m’êtes très sympathique. Lucien : Ah tant mieux ! (Il fait un pas en arrière et est heurté par André qui s’avance en fumant un cigare.)  Scène 4  Les mêmes, André, puis Mme Cohen et Edith. André (toussant) : Tu me fais encore tousser, petit imbécile. Lucien : Je ne l’ai pas fait exprès, André. André : Je l’espère. (Il tousse violemment.) Bloch : On danse à côté ? André : Oui. Les Cohen avec leur fille Edith entrent. Bloch : Vous ne bostonnez pas, monsieur ? Heller : Si, monsieur, ridiculement ! Mme Cohen : M. André valse si bien ! André : Je n’en tire aucune vanité. La danse est un sport inférieur. Bloch : Si tu valses, mon enfant, ne reste pas dans les courants d’air, ne prends pas froid. André : Est-ce que je suis malade ? Bloch : Non. André : Je tousse… C’est la fumée… Voilà tout ! Cohen : Tous les pères tremblent pour la santé de leurs enfants ! André : Quand ils sont chétifs, rien n’est plus naturel. Mais moi, je suis rompu à tous les sports. J’ai une santé à toute épreuve. Tout le monde le sait. Seuls, mes parents ne veulent pas l’admettre. Bloch : Mais si ! André : Savez-vous comment on m’a appelé dans le dernier numéro de la Vie sportive ? Edith : Comment ? André : Une organisation exceptionnelle. Bloch : C’est vrai. Edith : Dans une revue la semaine dernière j’ai vu votre portrait en costume de tennis. Lucien : Il est champion. Heller : Vous êtes champion de tennis ? André : A Asnières. Bloch : Et il conduit merveilleusement. Le cocher me le disait ce matin encore… André : Je crois qu’à l’heure actuelle, je suis le seul israélite capable de mener un mail-coach. Edith : Et comme vous avez été applaudi au Concours Hippique ! Heller : Vous avez obtenu une récompense ? Lucien : Non, monsieur Heller. André : Vous ne vous rappelez pas ce scandale ? Heller : Excusez-moi, j’étais en province. Edith : Le public vous a acclamé. André : Parce qu’il ignorait ma religion… Mais le jury ! Heller : Vous avez été victime, vous aussi, d’une iniquité judiciaire. André : Quelques journaux ont en effet comparé mon cas à… Lucien : Ils exagéraient. André : Peut-être. Quand tu seras plus âgé, mon petit Lucien, tu verras qu’on est toujours prêt à se montrer injuste envers nous. Lucien, Heller, Edith, André sortent. Pendant ce temps les Cohen interrogent M. Bloch. Cohen : Evidemment, recevoir un évêque, c’est un grand honneur et il était difficile de l’obtenir. Bloch : Difficile ! Pas du tout. Mme Bloch : Je te le disais bien, David ! Cohen : Laisse parler M. David. Bloch : Eh bien ! Voici ! Mme Cohen : Ah ! Oui, dites-nous. Cohen : Voyons ! Esther ! Esther ! Mme Bloch est entrée avec M. de Coissy.  Scène 5  Les mêmes, Mme Bloch et Coissy. Mme Bloch, à madame Cohen : Hildegarde… Permettez-moi de vous présenter monsieur de Coissy. Madame Hildegarde Cohen-Sulzbacher, son mari. Cohen : Très honoré, monsieur de Coissy. Coissy, très gentil : J’ai connu un M. Cohen. Mme Cohen : Ce n’était pas un de nos parents. Cohen : Nous n’avons pas de parents. Mme Cohen : Nous ne connaissons personne qui porte ce nom. Coissy : Moi, je connais quelques personnes qui s’appellent Cohen. C’est que nous n’avons pas les mêmes relations. Cohen : Mais nous, c’est Cohen-Sulzbacher. Coissy : De la rue du Sentier ? Cohen : Ma maison de commerce est en effet, rue du Sentier. Coissy : Dentelles, n’est-ce pas ? Cohen : Dentelles. Mme Cohen : Mon mari ne s’occupe jamais de sa maison. Elle va toute seule. Il consacre tous ses soins à sa collection de dentelles. Coissy : Il paraît qu’elle est admirable. Mme Cohen : Si vous voulez nous faire le plaisir de la visiter ? Coissy : Avec plaisir, madame. Mme Cohen : Je reçois tous les samedis, rue de la Boétie, 101. Cohen : Je n’ai pas de cartes sur moi. Coissy : Je trouverai votre adresse. Cohen : Dans l’annuaire des téléphones. Mme Cohen : Et dans le Tout-Paris. (De Coissy s’éloigne avec M. Bloch et M. Cohen.) Mme Bloch : C’est incroyable, ma chère amie. Je vous présente monsieur de Coissy et, aussitôt, vous l’invitez à vous rendre visite. Mme Cohen : Pourquoi pas ? Mme Bloch : Vraiment, Hildegarde, permettez-moi de vous le dire, vous manquez un peu de doigté. Mme Cohen : Bah ? Mme Bloch : Vous vous jetez à la tête de M. de Coissy ! Il en était choqué. Mme Cohen : Vraiment ? Mme Bloch : Et puis, quand on est israélite, on ne reçoit pas le samedi. Mme Cohen : M. de Coissy aime les dentelles : c’est un goût aristocratique. Je lui ai simplement proposé de voir notre collection et il a accepté très simplement. Mme Bloch : Mais enfin, vous devez imaginer qu’il ne nous a pas été facile de nous lier avec M. de Coissy ! Nous avons fait des démarches. Mme Cohen : Des sacrifices peut-être. Mme Bloch : Et, sans scrupules, vous profitez de nos efforts : c’est de la concurrence déloyale. Si j’agissais ainsi chez vous, que penseriez-vous de moi ? Mme Cohen : Vous pouvez inviter tous mes amis ; je vous y autorise de grand cœur. Mme Bloch : Vous ne connaissez que des israélites et des allemands. Mme Cohen : Mais ce sont vos coreligionnaires et vos compatriotes. Mme Bloch : Je suis hollandaise. Mme Cohen : Vous êtes née, par hasard, à Amsterdam, parce que vos parents voyageaient beaucoup : mais votre père était de Stuttgart et votre mère de Munich. Mme Bloch : Ma mère était de Varsovie. Mme Cohen : M. Bloch est de Francfort. Mme Bloch : Ce n’est pas vrai ! Mme Cohen : Il était à l’école avec maman. Mme Bloch : Alors, vous savez bien que monsieur Bloch n’est pas de Francfort mais d’un petit village voisin de Francfort. Mme Cohen : C’est vrai, je vous fais mes excuses. Mme Bloch : J’ai été un peu vive, mais je suis faible en ce moment. Mme Cohen : Des ennuis ? Mme Bloch : Non ! Mais j’achève un roman d’amour et je vis avec tous mes personnages. Mme Cohen : Ce doit être fatigant. Mme Bloch : Et cet évêque Lecourtois qui ne vient pas ! Mme Cohen : Il n’est pas tard. Mme Bloch : Dix heures et demie ! Je vous demande pardon : je voudrais dire un mot à M. de Coissy (Il vient d’entrer avec André.) Mme Cohen : Je vous laisse. Mme Bloch : Excusez-moi. Mme Cohen : Oh ! Ne vous excusez pas. Je vais jouer au poker. Mme Bloch : Toujours cette passion. Mme Cohen : Toujours ! (Madame Cohen sort.)  Scène 6  Mme Bloch, Coissy, André, puis Bloch. Mme Bloch, à Coissy : Dix heures et demie. Coissy : Dix heures vingt. Mme Bloch : Vous croyez ? Coissy : L’heure de la Bourse. M. Bloch vient de me la donner. Mme Bloch : Vous avez voulu savoir l’heure exacte, vous êtes inquiet. Coissy : Mais non ! Mais non ! André : Il ne viendra pas, votre évêque. Coissy : Patience ! Patience ! Bloch, entrant : Dix heures vingt-trois ! Mme Bloch : Mais non ! Mais non ! Bloch : L’heure de la Bourse. Je crois bien que nous avons eu tort d’annoncer à nos amis la visite de Monseigneur Lecourtois. Coissy : Il était certain que c’était inutile. Mme Bloch : S’il ne venait pas, on rirait de nous. Bloch : S’il vient, nous ne serons pas moins ridicules. Mme Bloch : Mais, Coissy, il vous avait bien promis, n’est-ce pas ? Coissy : Monseigneur désire vous connaître. André : Il tient à la voix de l’oncle Blumenthal. Coissy : Mon cher ami, nous cherchons tous des relations mondaines qui peuvent nous être utiles et agréables. André : Il aura redouté les indiscrétions de la presse. Mme Bloch : Au moment de venir, il aura sans doute été pris de scrupules. André : C’est ce que je voulais dire. Coissy : Mais pourquoi donc, madame ? Mme Bloch : Un évêque chez des Juifs ! Coissy : Bah ! Juif, on l’est aujourd’hui et demain on ne l’est plus. Bloch, inquiet : Que voulez-vous dire ? André : Jacques a raison. Personne ne connaît l’avenir. Bloch : Je ne vous comprends pas. Mme Bloch : L’avenir est impénétrable. André : C’est une vérité qu’on ne peut mettre en doute. Bloch : Evidement, à ce point de vue… Coissy : Toutes les hypothèses sont permises, n’est-ce pas ? Et on peut les envisager de sang-froid. Bloch : Si ce ne sont que des idées générales ! Coissy : Supposons, par exemple, que votre fille ressente une inclinaison, un penchant pour un catholique. Bloch : C’est improbable. Pourquoi souriez-vous ? Coissy : C’est que vous semblez regarder cette possibilité comme un malheur. Ce ne serait pas terrible cependant. Bloch : Mais, monsieur… Coissy : Croyez-vous que votre fille se mésallierait en épousant un chrétien ? Regardez-vous toujours les israélites comme les élus du Seigneur et conservez- vous du mépris pour l’étranger, pour le « goy » ? Bloch : Je ne ressens de mépris pour personne, monsieur. Je pense que ma fille ne serait pas heureuse en entrant dans une famille chrétienne, dans une vieille famille chrétienne. Je sens aussi que je la perdrais. Coissy : Permettez-moi de vous dire, monsieur Bloch, que vous devriez vous élever au-dessus de ce vieux préjugé. Vous vous plaignez souvent d’être isolé, d’être tenu à l’écart et vous vous irritez à la seule pensée d’avoir pour gendre un des nôtres. André : Il faut être logique papa. Mme Bloch : Dix heures et demie ! Coissy : Je vais le chercher. Bloch : Non ! Non ! Je me passerai fort bien de sa visite. Mme Bloch : Tu n’as pas d’ambition. André : Sois tranquille, papa, il ne viendra pas. Coissy : Je saute dans une auto et je l’amène. Bloch : A quoi bon ? (Coissy sort. A madame Bloch) Tu ne rentres pas dans les salons ? Tes invités ? Mme Bloch : Ils causent, ils jouent, et d’ailleurs, Hélène est avec eux. (Monsieur Bloch va pour sortir.) Mme Bloch : Ne t’en vas pas, l’évêque sera ici dans quelques minutes. Bloch : Eh bien ? Mme Bloch : Il convient que tu sois près de moi pour le recevoir. Bloch : Nous serons tous là et grand’mère aussi. Mme Bloch : Elle n’est pas couchée ? Bloch : Non ! Non ! Ma bonne vieille mère ! Elle a gagné dix louis au poker et, en ce moment, elle écoute mademoiselle Dujardin qui chante le grand air de Samson. Mme Bloch : Elle aurait bien dû choisir un autre morceau. André : C’est un manque de tact de nous parler ainsi de nos ancêtres. Bloch : Vous plaisantez, n’est-ce pas ? Mme Bloch : Naturellement. Mais ne penses-tu, mon ami, que ta mère devrait se reposer. Elle n’est plus toute jeune. Bloch : Elle a soixante-douze ans, mais elle est solide, heureusement. André : Ah ! Elle a une belle santé ! Bloch : Ma bonne vieille mère ! Mme Bloch : Ecoute, mon ami, crois-tu qu’il soit possible de présenter ta mère à Monseigneur Lecourtois ? Bloch : Pourquoi pas ? Je ne rougis pas de ma mère. Mme Bloch : Ce n’est pas la question. André : Grand-mère est intelligente et bonne, nous le savons. Mme Bloch : Tout le monde le sait. Mais ne crois-tu pas qu’elle sera mal à l’aise devant un prélat ? Bloch : Elle n’a pas de préjugés. Mme Bloch : Enfin, est-il bien utile que Monseigneur Lecourtois la rencontre ? Bloch : Utile ! Utile ! André : Elle sera certainement choquée en voyant un prêtre chez son fils. Bloch, inquiet : Tu crois ? André : Voyons, papa, c’est certain. Elle imaginera que nous sommes sur le point de nous convertir. Bloch : Ce n’est pas vrai ! Mme Bloch : Il serait bon de lui épargner ces vaines inquiétudes. Bloch : Ah ! Vous croyez tous les deux ?… André : Evidemment ! Bloch : Eh bien ! Il faudrait peut-être lui parler. André : J’y vais. Bloch : Non ! Non ! Je l’appellerai. Elle est là, tout près ; elle s’est placée au dernier rang afin de pouvoir sortir si la musique l’ennuie. Mme Bloch : Il est certain que je ne vois pas très bien ta grand’mère avec Monseigneur Lecourtois. Ah ! Si ma mère vivait ! C’était une femme qui avait de belles manières. Tu te rappelles ? André : Très vaguement. Mme Bloch : Tu étais si jeune quand je l’ai perdue.  Scène 7  Mme Bloch, André, M. Bloch, l’aïeule. Bloch, entrant avec la vieille madame Bloch : Tu es bien ? L’aïeule : Très bien, mon enfant, je suis heureuse, si heureuse. Mme Bloch : De quoi donc ? L’aïeule : Mais de tout, de voir que vous vous élevez et que vos enfants grandissent. Te rappelles-tu, Ephraïm, notre pauvre existence à Francfort ?… André : Pourquoi songer à ce passé ? L’aïeule : Mais pour mesurer le progrès qu’a fait mon fils, j’en suis fière. Est-ce assez beau, ces tentures, ces rideaux… André : Voyons, grand’mère. L’aïeule, tâtant les rideaux : Pure soie, mon petit. J’en ai vendu, je sais que c’est beau, on ne fait pas mieux. (Elle tousse.) Mme Bloch : Toujours votre rhume ? L’aïeule : Oh ! Oui, Je tousse ! Ma poitrine est déchirée. Bloch : Tu exagères. L’aïeule : Ah ! Mon enfant, je t’affirme que je suis bien malade. André : La tête ? L’aïeule : Et les reins et les intestins. Tout ! Tout ! C’est à peine si je peux tenir sur mes jambes. Mme Bloch : Si vous étiez bien sage… L’aïeule : Oui ! Oui ! Mme Bloch : Vous iriez faire un bon petit somme. L’aïeule : Me coucher ? Mais, moi aussi, je veux jouir de la vie et prendre ma part des plaisirs, de tous les plaisirs. Rentrer dans ma chambre ? J’attendrai que tous les invités soient partis. André : Tu les as tous vus. L’aïeule : Et l’évêque ? Bloch : Bah ! L’aïeule : Comment peux-tu parler ainsi d’un évêque ? Rappelle-toi de l’évêque de Francfort ! Quel grand et puissant seigneur ! Il me semble que j’entends encore le bruit de son carrosse quand il passait devant nos petites fenêtres. Et aujourd’hui un évêque vient chez toi. Ah ! Quel bonheur ! Ach ! Mein Kind ! Bloch ; Ach ! Meine liebe Mutter !  Scène 8  Les mêmes, Coissy, puis Hélène, Mademoiselle Grenier, Lucien. Coissy, entrant brusquement : Monseigneur me suit ! Il monte l’escalier ! Mme Bloch, allant à la porte : Hélène ! Hélène Hélène, entrant avec mademoiselle Grenier : Qu’y a-t-il, maman ? Mademoiselle Grenier veut bien nous lire quelques vers de madame Desbordes- Valmore. Mme Bloch : Tout à l’heure, mademoiselle, je vous en prie ; Monseigneur Lecourtois arrive. Hélène : Ah ! Melle Grenier : Oh ! Je serai si heureuse de le voir ! C’est un esprit si distingué. André : C’est bien ! C’est bien ! (Il appelle un domestique.) Ne laissez entrer personne dans ce salon. (Le domestique disparaît.) Il ne faut pas que Monseigneur se trouve brusquement dans une foule d’inconnus. L’aïeule : On pourrait peut-être faire venir le pasteur Wurtz : c’est un confrère ? Bloch : Non ! Maman ! C’est un concurrent ! Coissy : C’est bien ! C’est bien ! Mme Bloch, à mademoiselle Grenier : Ne deviez-vous pas, mademoiselle, dire des vers de madame Desbordes-Valmore. Melle Grenier : Si vous le voulez bien, madame, j’attendrai que Monseigneur soit là. Coissy, à Mme Bloch : Monsieur Lecourtois ne dédaigne pas d’assister aux représentations de la Comédie-Française. Il sait toute la distance qu’il y a entre les sociétaires de la Maison et les actrices du Boulevard. André : Et Lucien ? Où est Lucien ? (Il appelle.) Lucien. Lucien, entrant : Me voici ! Me voici !  Scène 9  Les mêmes, Monseigneur Lecourtois. (Monseigneur Lecourtois entre appuyé sur un jeune prêtre.) Coissy : Monseigneur, permettez-moi de vous présenter mes bons amis : Madame Bloch, qui est la mère de M. Bloch, madame Bloch qui est sa femme, mademoiselle Hélène, monsieur André et monsieur Lucien Bloch, ses enfants. Les Bloch : Monseigneur ! Monseigneur : Je marche difficilement. J’ai pris la liberté, madame, d’amener avec moi ce jeune lévite. L’aïeule : Soyez le bienvenu, monsieur Lévy. Monseigneur : Mais, n’est-ce pas mademoiselle Grenier que j’aperçois. Melle Grenier : Je n’espérais pas, Monseigneur, que vous me feriez l’honneur de me reconnaître. Monseigneur : Eh bien ! Etes-vous satisfaite de votre cure ? Melle Grenier : Mais oui, Monseigneur, et je conserve un précieux souvenir des quelques jours passés non loin de votre Grandeur. Coissy : Vous avez rencontré mademoiselle pendant une cure ? Monseigneur : Mais oui ! Hélène : A Lourdes ? Melle Grenier : Non. A Châtel-Guyon. Monseigneur : Et mademoiselle m’a puissamment aidé à organiser une fête de charité ; nous avons collaboré. Melle Grenier : Oh ! Monseigneur ! Monseigneur : Vous avez dit, avec un art merveilleux, des vers de madame Desbordes-Valmore. Melle Grenier : Et quel magnifique discours vous avez prononcé, Monseigneur. Monseigneur : Une simple improvisation ! Melle Grenier : Elle a été reproduite par le Courrier de Riom. J’ai conservé la coupure. Monseigneur : Ce sont des harangues qui ne gagnent pas à être imprimées. Elles ne s’excusent que par l’accent et la conviction. Melle Grenier : Ah ! Monseigneur. Quelle ardeur et quelle articulation ! Monseigneur : Vous me flattez ! C’est vous qui avez une diction admirable, impeccable. La semaine dernière, je vous ai applaudie à la Comédie- Française. Melle Grenier : Dans Le Monde où l’on s’ennuie ? Monseigneur : Non, mademoiselle, je n’entends que les œuvres classiques. Melle Grenier : Pardon, Monseigneur. Monseigneur : On donnait Tartuffe. Vous jouez délicieusement ce joli personnage de Marianne. Melle Grenier : Je suis confuse. Monseigneur : Si, si, délicieusement. Melle Grenier : Je vous demande pardon, Monseigneur. Mais je dois aller dire quelques vers. Monseigneur : Faites, mon enfant, j’irai tout à l’heure vous applaudir. Melle Grenier : Monseigneur ! Bloch : Vous permettez, Monseigneur que j’accompagne mademoiselle Grenier. Monseigneur : Faites, monsieur, je ne veux troubler personne. Bloch : Viens maman, viens Lucien ! Monseigneur : Le charmant enfant ! Je l’ai à peine aperçu. Mais nous nous reverrons ! (Bloch, Mademoiselle Grenier, l’aïeule, Lucien sortent.)  Scène 10  Monseigneur, Mme Bloch, Hélène, André et Coissy. Monseigneur : Quelle charmante artiste ! Mme Bloch : Tout à fait charmante. Monseigneur : Vous devez apprécier tout particulièrement son talent, madame, car vous écrivez des vers qu’on goûte. Mme Bloch : Je n’ose croire, Monseigneur, que mes modestes essais vous soient connus. Monseigneur : J’en ai souvent entendu parler et j’ai eu la tentation de les lire ; mais les seuls titres de vos livres effraient un peu l’homme d’église. Mme Bloch : Mon prochain volume vous rassurera, Monseigneur. Mon inspiration devient austère, et, si j’ose dire, presque chrétienne. Monseigneur : Monsieur de Coissy m’a dit en effet, madame, quelles étaient vos sympathies pour notre religion. Je sais que votre fils André a protesté hautement contre la loi de séparation et qu’il a reçu des coups pour la défense des églises. André : J’estime, Monseigneur, que devant une injustice, il ne saurait plus être question de religion. Un honnête homme doit se battre pour le bon droit. Monseigneur : Il me plaît de vous entendre parler ainsi. Enfin, madame, votre fille Hélène est une belle âme, une très belle âme. Hélène : Monseigneur ! Monseigneur : Oh ! Ne protestez pas, mademoiselle. Je connais vos actes de charité, c’est une joie pour moi, pasteur chrétien, de trouver dans une famille… dissidente…. Des élans aussi purs. Mme Bloch : Il se pourrait, Monseigneur, que cette famille ne restât pas dissidente. Monseigneur : Oui ! Oui ! Monsieur de Coissy m’a vaguement parlé de vos projets. Mais, madame, je vous supplie de ne pas vous hâter. Ecoutez la voix qui vous appelle et ne lui obéissez que si vous reconnaissez bien la voix de Dieu. André : Mais… Monseigneur : Croyez-moi, cher monsieur, j’ai l’expérience des conversions. Cet hiver, en Afrique… Hélène : Quoi, Monseigneur, vous avez porté la bonne parole aux peuplades sauvages ? Monseigneur : Non, mademoiselle, c’était au Caire. J’ai eu la chance d’amener à Dieu trois banquiers levantins qui soignaient au soleil leurs rhumatismes, comme je le faisais moi-même. Hélène : Vous n’avez pas eu, Monseigneur, le désir d’aller plus loin ? Monseigneur : Plus loin ? Coissy : Pourquoi ? Hélène : Vous n’avez pas porté la parole évangélique aux tribus barbares. Monseigneur : C’est un apostolat, que ma santé et mon âge ne me permettent plus. André : C’est un sport terriblement dur. Monseigneur : N’est-ce pas, monsieur ? Et pourquoi chercher si loin des infidèles ? Il en est tant que l’on peut convertir à Paris pendant l’hiver et, quand vient l’été à Vichy ou à Dieppe. Mme Bloch : La France d’abord ! Monseigneur : Certainement. Nous devons aimer tous les hommes ; mais, malgré moi, je ressens une plus vive sympathie pour les israélites français que pour les nègres et les chinois. Je crois servir plus efficacement la cause de l’Eglise et de Dieu en baptisant un financier parisien qu’en baptisant un roi anthropophage. André : Vous devez rencontrer de violentes résistances. Monseigneur : Je parviens à les vaincre. Hélène : Nos parents et nos grands-parents sont fermement attachés à la tradition. Monseigneur : On peut les détacher doucement. Coissy : Le plus souvent ils ne tiennent si obstinément à la religion que parce qu’ils redoutent la colère de leur Dieu. Ils pensent qu’ils seraient punis s’ils abandonnaient la foi de leurs ancêtres. André : C’est précisément ce qu’on appelle le sentiment religieux. Monseigneur : Non ! Non ! Monsieur ! Le sentiment religieux, c’est l’appel d’une volonté supérieure qui nous attire vers le ciel, c’est la voix du cœur, c’est la grâce. Hélène : Parlez ! Parlez ! Monseigneur ! Monseigneur : Oh ! Mademoiselle, ce n’est pas ici qu’il convient de vous initier à ces mystères. Ce n’est ni le lieu, ni la saison. Nous sommes à la veille du grand prix. L’agitation de la semaine, les préparatifs pour les villégiatures ne sont pas favorables au recueillement, à la méditation. Hélène : Mais quand cette agitation sera apaisée ? Monseigneur : Nous verrons… Depuis que l’on nous opprime, les miracles se multiplient. Il semble que Dieu veuille encourager ses fidèles serviteurs. En ces derniers temps, bien des âmes égarées nous sont parvenues. Mme Bloch : Si mon mari pouvait vous entendre ! Monseigneur : Il m’entendra. André : N’avez-vous pas dit, Monseigneur, que vous iriez à Dieppe ? Monseigneur : Non ! À Vichy ! Mme Bloch : Nous avons une villa près de Vichy. Nous pourrions y rester pendant un mois. Monseigneur : Je le souhaite. Hélène : Je serais si heureuse, Monseigneur, d’écouter vos conseils et vos leçons. Monseigneur (se lève) : Je suis touché de votre confiance mademoiselle. Mais j’ai promis à mademoiselle Grenier de l’entendre. Mme Bloch (se lève) : Si vous voulez venir, Monseigneur. Monseigneur : N’aurai-je pas le plaisir de rencontrer dans la salle de concert votre cousin Blumenthal ? Mme Bloch : Il n’a pu venir. Il est enrhumé. Jeudi il a eu l’imprudence de revenir de l’Académie, à pied, sous la pluie, sans son cache-nez. Monseigneur : C’est un savant éminent. Son interprétation de la Bible est souvent contraire à l’enseignement de l’Eglise. Mais quelle science et quelle ingéniosité. J’aurais grand plaisir de le connaître. Mme Bloch : Si vous vouliez, Monseigneur, le rencontrer un jour, ici ? Monseigneur : Très volontiers. Je m’acquitterai de la visite d’usage. Mais ce ne sera pas seulement un acte de politesse ; je lui manifesterai ainsi l’admiration qu’il m’inspire, avec certaines réserves que vous comprenez. Mme Bloch : Je lui ferai connaître vos sentiments. Coissy : Vous posez décidément votre candidature à l’Académie. Monseigneur : Oui, mon cher Coissy. Nos amis m’ont affirmé que je le devais. Ils veulent faire sur mon nom une imposante manifestation. Puis-je me dérober à ce devoir sacré ? Mme Bloch : Non. Monseigneur : N’est-ce pas ? Coissy : Vous avez d’ailleurs des titres. Monseigneur : Oui ! Oui ! Précisément, madame, je me suis permis de vous apporter mes œuvres complètes. Mme Bloch : Oh ! Monseigneur, je suis touchée… Monseigneur, lui offrant un petit volume que lui donne le lévite : Les voici. (Il sort avec Madame Bloch, André et le lévite.)  Scène 11  Coissy, Hélène. Coissy, à Hélène qui va sortir : Etes-vous si désireuse, mademoiselle, d’entendre les vers de madame Desbordes-Valmore ? Hélène : Mais oui, monsieur, n’aimez-vous pas le talent de mademoiselle Grenier. Coissy : Si ! Si ! Depuis mon enfance… Hélène : Vous venez à peine d’en sortir. Coissy : Seriez-vous méchante ? Hélène : Je m’efforce au contraire d’être bonne. Mais… Coissy : Mais… Hélène : Mais vous me semblez si jeune ! Coissy : Bah ? Hélène : Vous êtes fâché ? Coissy : Je souffre ! Hélène : Non ! Vous boudez ! Coissy : Je vous affirme, mademoiselle… Hélène : Ne protestez pas. Je vous connais bien. Je vous ai longuement observé. Vous ne vous souciez que de vos costumes et de vos jeux. Coissy : Que faudrait-il faire pour vous plaire ? Hélène : Mais vous me plaisez. Coissy : Serait-il vrai, mademoiselle ? Hélène : Vous me plaisez beaucoup. Coissy : S’il en est ainsi, il faut que vous m’écoutiez. Hélène : Très volontiers. Coissy : Puisque j’ai eu le bonheur de retenir votre attention, vous avez dû observer que je n’étais pas demeuré insensible à votre grâce, à votre intelligence. Hélène : Je crois en effet que vous restez près de moi sans ennui. Coissy : Vous pensez bien, mademoiselle, qu’il me serait doux de rester auprès de vous toujours. Hélène : Vous voulez m’épouser ? Coissy : Mais, mon Dieu. Oui… mademoiselle. Hélène : Mais je ne vous aime pas. Coissy : Je m’en doute bien, mademoiselle. Hélène : Alors ! Coissy : Mais vous m’avez dit tout à l’heure que je ne vous déplaisais point. Hélène : C’est la vérité. Coissy : Ne croyez-vous pas qu’une grande sympathie réciproque pourrait suppléer provisoirement… Hélène : Vous me paraissez soudain beaucoup moins jeune. Coissy : Vous ne partagez pas mes sentiments, vous ne m’aimez pas… Mais êtes-vous bien sûre que, si vous me rejetez, vous ferez un mariage d’amour ? Le cas est-il si fréquent autour de nous ? Hélène : Evidemment, non ! Coissy : Et puis vous finirez bien par vous rendre à ma tendresse. Hélène : Vous êtes donc bien sûr que je ne résisterai pas à la vanité de porter votre nom ? Coissy : Mon nom ! J’en suis très fier, certes… Mais vous n’y attachez pas grande importance, je le sais… Cependant j’ai autre chose d’infiniment précieux à vous offrir. Hélène : Vraiment. Coissy : Si vous voulez être mienne, nous nous en irons loin d’ici ; je vous emmènerai (Un temps) en Anjou. Hélène : Savez-vous seulement si je désire quitter mes frères ? Coissy : Pourquoi dissimuler devant moi un fait que j’ai deviné depuis longtemps ? Ici, vous tous ne rêvez que d’une chose… Hélène : Et c’est ? Coissy : De vous séparer du milieu spécial où vous vivez, de rompre le cercle invisible et pourtant réel qui vous enferme. Hélène : Vous me croyez snob, n’est-ce pas ? Coissy : Non, mademoiselle. Mais dans votre milieu d’agitation, de fièvre, personne n’est heureux. Vous moins que les autres ! Et vous vous en rendez compte tous. Hélène : C’est vrai. Coissy : Il est naturel que vous tourniez les yeux pour chercher une issue… C’est pourquoi, moi, en loyal garçon que je suis, vous aimant, je vous dis : suivez- moi ailleurs. Hélène : Je vous remercie de votre franchise, personne ne m’a jamais parlé ainsi… Mais savez- vous qu’il ne serait pas généreux de ma part d’accepter votre proposition. Coissy : Pourquoi donc ? Hélène : Dois-je m’éloigner de mes frères ? Coissy : En restant avec eux, leur serez-vous de quelque secours ? Hélène : Si je vous épouse je devrai abandonner la vieille religion. Coissy : Mais je respecterais une femme qui se convertirait par amour. Hélène : Vous auriez tort. Ce n’est que par conviction qu’il faut embrasser une foi nouvelle. Coissy : Mais tout à l’heure, quand vous parliez à Monseigneur Lecourtois, vous paraissiez déjà animée d’un souffle divin. Hélène : Oui ! Oui ! Parfois, il me semble qu’une voix m’appelle. Coissy : Eh bien ! Hélène : Mais tout à coup cette voix se tait… Je suis calme… Attendez monsieur, attendez. Coissy : Oh ! Mademoiselle, je suis très heureux. Hélène : Je ne vous ai rien promis. Coissy : Je comprends… Je comprends… Hélène : Mais je puis vous affirmer que si jamais votre projet se réalise, c’est une chrétienne, une vraie chrétienne que vous conduirez à l’autel. Coissy : Je l’espère… Vous avez des élans passionnés vers la foi… Moi-même je suis plutôt croyant. Hélène : Est-ce bien vrai ? Coissy : Mais certainement… J’appartiens à une famille où de père en fils on observe les commandements religieux. Hélène : Allez-vous souvent à l’église ? Coissy : Tous les dimanches. Et vous ? Hélène : Quand nous sommes en voyage, le Baedeker à la main. Coissy : Et ici à Paris ? Seriez-vous insensible à la poésie si intense de nos églises ? Hélène : Oh ! Non… Mais quand j’y rentre, j’ai le sentiment d’être une intruse, de toucher à ce qui ne m’appartient pas. Coissy : Mais si je suis à côté de vous, ce sentiment s’évanouira, n’est-ce pas ? Voulez-vous de moi pour guide et aussi pour prier ensemble. Nous irons en Italie. Le commun ne se doute pas des beautés que recèle ce sol béni, retourné par le levier de la foi. Avez-vous séjourné en Toscane ? Hélène : Non… Coissy : J’y connais une pauvre chapelle de village, délabrée et vermoulue. Hélène : Vermoulue ! Coissy : Les touristes ne la connaissent pas car elle se cache au fond d’une vallée dans un pays perdu… A première vue son aspect n’a rien de remarquable, mais ayant franchi le seuil, vous pénétrez dans une crypte moyenâgeuse fort basse et si sombre qu’on n’y voit rien. Hélène : Et on ne connaît pas ça ! Coissy : Et c’est pourtant là que se trouve l’écho le plus merveilleux que j’aie jamais entendu. Pour peu que vous appeliez : « ho » les murs séculaires vous répondent dix fois ou peut-être davantage : « hoho ! hoho ! » N’est-ce pas prodigieux ? Hélène : Oui… Mais n’allons-nous pas rejoindre Monseigneur Lecourtois ? Coissy : J’aurais encore tant de choses à vous dire ! (Lucien entre, pensif.)  Scène 12  Les mêmes, Lucien, puis Mme Bloch et André. Hélène : Où est Monseigneur ? Lucien : Monseigneur ? Il est déjà parti. Coissy : Ah ! Lucien : Presque tout le monde est parti. Les salons se sont vidés en un clin d’œil. (Il s’assied à l’écart avec un soupir.) Hélène : Mais qu’as-tu Lucien ? Lucien : Rien. Je suis fatigué… Tout ce bruit…. Cette agitation. Coissy : Souffrez que je prenne congé de vous, il se fait tard. Hélène : Au revoir, ami. Coissy : Au revoir. (Madame Bloch et André entrent.) Mme Bloch, à Coissy : A bientôt j’espère… je vous remercie. André, à Coissy : Demain, au polo. Coissy : C’est entendu. (Il sort.)  Scène 13  Mme Bloch, Hélène, Lucien, André. Mme Bloch : Je suis éreintée…. A bout de force. Hélène : Je comprends. Mme Bloch : Si tu les avais vus ! Ils se sont rués tous à la fois sur Monseigneur, pour le saluer, lui serrer la main. André : J’ai eu quelque peine à dégager le vieillard… Hélène : Aussi, quels gens recevons-nous, oh ! Mon Dieu ! Mme Bloch : Ils n’ont aucun usage… André, interrompant : Et ils sont ennuyeux ! Hélène : Et envieux ! Mme Bloch : Et malveillants ! André : A l’heure qu’il est, ils se moquent de nous. Mme Bloch : Encore une soirée de manquée ! André : Tant que nous recevrons des israélites ! Mme Bloch : Allons-nous coucher. André : Ça vaudra mieux. Mme Bloch : Bonsoir Hélène. Hélène : Bonsoir. Bonne nuit. André : Bonsoir. (Hélène sort par la gauche tandis que madame Bloch sort avec André par la droite.) Tant que nous recevrons…  Scène 14  M. Bloch entre. Il éteint quelques lampes électriques et aperçoit Lucien qui est assis dans un coin. Bloch : Que fais-tu là ? Lucien : Rien. Bloch : Je croyais que tu étais couché. Lucien : Je n’ai pas sommeil. Bloch : Tu n’as pas pris congé de Monseigneur Lecourtois ? Lucien : Pourquoi faire ? Bloch : Tu t’es bien amusé ? Lucien : Oui. Bloch : Toi qui aimes la musique, tu as dû être heureux d’entendre madame Dujardin. Elle a divinement chanté. Lucien : Elle a chanté un peu faux. Bloch : Vois-tu, mon enfant, tu es trop difficile. Sais-tu bien qu’à ton âge je n’avais entendu que la musique militaire. Quand elle jouait dans le jardin du commandant de la place, je m’arrêtais devant la grille. Je tendais le cou à travers les barreaux. Je ne pensais pas que je serais abonné à l’Opéra de Paris. Ça ne te fait pas rire ? Lucien : Non, papa ! Bloch : Voyons ! Qu’as-tu, mon enfant ? Tu es tout triste. Lucien : Non ! Bloch : Si ! Si ! Lucien : Eh bien ? Bloch : Quoi ? Lucien : Tu ne te moqueras pas de moi ? Bloch : Mais non ! Dis toujours ? Lucien : Je ne suis pas heureux. Bloch : Mais que te manque-t-il ? Moi, à ton âge… Lucien : Tu étais plus heureux que moi, papa. Bloch : Tu crois ? Lucien : Oui, parce que tu étais chez toi. Bloch : Chez moi ? Lucien : Oui, chez toi, à Francfort. Bloch : Toi, tu n’es pas chez toi ? Lucien : Non. Bloch : Mais je me suis fait naturaliser ! Tu es né en France. Lucien : Dès que je suis entré au lycée, on ne m’a pas considéré comme un Français, mais comme un Juif. Bloch : Absurde taquinerie d’enfant ! Tu es français. Tu serviras la France comme plusieurs milliers d’israélites. Tu paieras les impôts, tu obéiras à la loi, tu défendras de ton sang le sol de ce pays qui est ton pays. Lucien : Cependant je ne suis pas semblable à mes compatriotes. Dans la rue on me reconnaît. Hier, un petit pâtissier a ricané en me voyant : « Tête de Juif, tête de Juif ! » Bloch : Alors ? Lucien : Père ! Père ! Pourquoi n’es-tu pas resté à Francfort ? J’y vivrais tranquille parmi les nôtres. Bloch : Tu crois ? Lucien : Ici, je me sens exposé aux insultes et à la haine du passant. Là-bas, je serais respecté, je serais chez moi, chez nous. Bloch : Crois-tu que si j’avais été chez moi à Francfort, je serais venu ici. Mais j’y serais demeuré, petit imbécile. Lucien : Tu n’étais pas chez toi, à Francfort ? Bloch : Mais non ! Naturellement ! Lucien : Alors où serons-nous chez nous ? Bloch : Je ne sais pas. Lucien : Ni ici, ni là-bas, ni ailleurs. Bloch : Tu m’en demandes trop ! Je n’ai pas posé à mon père de telles questions ! Et que répondras-tu à ton fils s’il t’interroge ainsi, quelque jo

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